En 2016, le journaliste Michel Eltchaninoff signait chez Actes Sud « Dans la tête de Vladimir Poutine », un livre qui tentait de cerner quels étaient les objectifs du maître du Kremlin, sa vision du monde et de son pays, ses objectifs, ses obsessions même. Six ans plus tard et 21 jours après l’invasion de l’Ukraine et le déclenchement d’une guerre en Europe qui déstabilise l’ordre mondial né après 1945, l’énigme Poutine n’a toujours pas livré ses secrets.
De Kiev à Paris, de Berlin à Washington chacun se demande jusqu’où peut et veut aller Poutine ? Le président russe est-il « de plus en plus isolé », « en colère et frustré » de voir son armée ralentie par la résistance héroïque des Ukrainiens, comme l’affirme le directeur de la CIA, William Burns ? Est-il malade, atteint d’un cancer ou de la maladie de Parkinson que trahirait un visage bouffi, comme l’avancent certains observateurs ? Lui qui a reçu Emmanuel Macron, mais aussi son ministre la Défense et son chef d’Etat-major au bout de tables sans fin est-il devenu hyperangoissé face au risque d’une contamination au Covid-19 ? Vladimir Poutine, qui ne voyage plus et est resté isolé pendant la pandémie, s’est-il réfugié dans les livres des penseurs russes du XIXe et du XXe siècles qu’il affectionne au point de s’y perdre et de se convaincre de façon paranoïaque que, oui, l’Occident a juré la perte de la Russie ? Mystère.
À vrai dire personne ne sait réellement ce qui se passe dans la tête de Vladimir Poutine, mais l’examen de son parcours, d’agent du KGB moyen à chef de l’Etat, permet de déceler une volonté constante : celle de rendre sa grandeur à la Russie. Depuis son accession au pouvoir après les années Eltsine minées par les oligarques, Poutine n’a eu de cesse de poursuivre cet objectif et de surmonter le traumatisme de la chute de l’URSS en 1991, qu’il avait qualifié de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle » et qui, surtout, avait constitué selon lui une « désintégration de la Russie historique », à laquelle il fait désormais systématiquement référence.
Pourtant, pour voir la Russie occuper son rang dans le concert des nations, l’ancien espion du KGB avait un temps joué le jeu de l’ouverture avec l’Occident, et notamment les Etats-Unis, avant que des crispations ne se transforment en amertume, et l’amertume en rupture. Alors que des révolutions démocratiques éclatent en Géorgie (2003) et en Ukraine (2004), et que dix pays de l’Europe de l’est adhèrent à l’Union européenne (2004), Poutine se sent menacé et va alors livrer sa vision du monde. Radicale, brutale.
En 2007, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, il lance « Qu’est-ce qu’un monde unipolaire ? C’est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force, un seul centre de décision. C’est le monde d’un unique maître, d’un unique souverain. J’estime que dans le monde contemporain, le modèle unipolaire est non seulement inadmissible mais également impossible. » Tout était dit et, depuis quinze ans, entre opérations militaires, cyberattaques, soutien aux dictatures ou ingérences étrangères, Poutine est resté sur cette vision du monde jusqu’à l’obsession et maintenant jusqu’à la guerre.
Qui pourra le faire changer d’avis, lui qui s’est créé dans son Kremlin-bunker un entourage d’obligés qui lui doivent tout ? Qui pourra le convaincre qu’une sortie par le haut reste possible sans raser l’Ukraine ? Qui pourra vraiment entrer dans la tête de Vladimir Poutine ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 16 mars 2022)