S'il est un domaine où la moindre décision déclenche des débats sans fin et doit impérativement s'accompagner d'un patient travail de pédagogie auprès des Français, c'est bien celui de la sécurité routière. En oubliant cela et en confondant vitesse et précipitation pour la mise en œuvre, le 1er juillet 2018, de l'abaissement à 80 km/h de la limitation de vitesse sur les routes secondaires, le Premier ministre Edouard Philippe – pourtant élu de terrain madré – a sans doute commis une erreur. En envisageant dimanche des « aménagements » sur « la manière dont on peut faire en sorte qu'il n'y ait pas une application brutale, uniforme », selon l'expression de Sibeth Ndiaye, le gouvernement a fini par reconnaître l'évidence : la limitation à 80 km/h est une affaire autant politique que de sécurité routière.
Politique évidemment. Si la mesure, voulue par Edouard Philippe – qui a contraint Emmanuel Macron à l'endosser – est devenue très vite impopulaire au-delà du seul cercle du lobby automobile, c'est parce qu'elle a illustré ces décisions prises d'en haut par Paris et imposées en bas sur tout le territoire sans la moindre concertation. Non seulement elle a froissé les élus locaux déjà chagrinés d'être boudés par l'exécutif depuis mai 2017, mais elle a aussi mis en évidence les écarts considérables des territoires en termes d'aménagement et de mobilités, soulignés d'ailleurs au début du mouvement des Gilets jaunes. Vivre à 80 km/h en Ile-de-France quand l'offre de transport est pléthorique est une chose ; la situation est bien différente lorsque l'on habite dans les départements ruraux, isolés, aux routes parfois vieillissantes, aux transports en commun rares et où la voiture reste le seul moyen de locomotion et souvent l'outil indispensable pour travailler.
Sécurité routière, assurément. Autant la décision imposée des 80 km/h a été maladroitement décidée, autant elle n'est pas dépourvue de sens. Il serait injuste, en effet, d'accuser le Premier ministre d'avoir voulu abaisser la limitation de vitesse dans le seul but de remplir les caisses de l'Etat ou d'embêter les Français et les collectivités locales. Si Edouard Philippe s'est engagé sur les 80 km/h, c'est parce que le nombre d'accidents sur les routes était reparti à la hausse pour la première fois depuis un demi-siècle, que plus de la moitié des accidents mortels ont justement lieu sur ces routes secondaires et que la lutte contre les excès de vitesse – l'un des facteurs principaux de la mortalité routière – a démontré son efficacité, notamment depuis l'installation des radars automatiques il y a plus de dix ans.
Au cours du grand débat, Emmanuel Macron a reconnu qu'il fallait « faire quelque chose qui soit mieux accepté et plus intelligent », ouvrant de fait la voie à des aménagements, par exemple le transfert des décisions de la limitation aux Départements. Le gouvernement doit toutefois se garder de tout recul et trouver un « en même temps » entre le nécessaire renforcement de la sécurité routière et la tout aussi nécessaire prise en compte des difficultés et des particularités des territoires.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 3 mai 2019)