« La Grande bouffe » de Marco Ferreri en 1973, « Sous le soleil de Satan » de Maurice Pialat en 1987, « Crash » de David Cronenberg en 1996, « Antichrist » de Lars von Trier en 2009 : à chaque décennie, le festival de Cannes a été marqué par des films polémiques. Sans parler des à-côtés… Entre strass et paillettes, entre starlettes et caprices de stars, entre Bardot et Marceau, Adjani et Madonna, entre déclarations sulfureuses et accidents de tapis rouge, entre soirées arrosées et montées des marches, entre moments sublimes et farces ridicules, entre palais des festivals et palaces glamour de la French Riviera, en quinze jours sous le soleil et les palmiers de la Croisette, Cannes devient le précipité de tout ce qui fait le cinéma, sa beauté, ses excès, ses fulgurances, ses provocations, ses réflexions et, donc, ses polémiques.
Celle qui entoure le film d'Abdellatif Kechiche, « Mektoub my love. Intermezzo » – comme celle qui touchait la semaine dernière la palme d'or d'honneur d'Alain Delon – s'inscrit évidemment dans cette longue histoire des « scandales » de Cannes.
Si la scène de sexe dans le film de Kechiche fait autant parler – géniale pour les uns, pornographique pour les autres – et crée un malaise, c'est, d'évidence, parce qu'elle intervient dans un contexte nouveau : celui d'après l'affaire Weinstein qui a secoué le monde du cinéma. L'objetisation, l'hypersexualisation à l'excès de la femme devant la caméra, tout comme le harcèlement sexuel allant parfois jusqu'au viol en coulisses ne sont plus tolérables et on ne peut que se réjouir que des actrices, et des acteurs, aient eu le courage de lancer le mouvement #MeToo.
Mais cette prise de conscience qui devenait essentielle ne doit pas être le faux-nez de tous ceux qui – gardes-chiourmes puritains en tête – veulent limiter, brider, empêcher la créativité des artistes.
Car ces films trublions, qui électrisent aujourd'hui les réseaux sociaux, ne sont pas tous gratuitement sulfureux. En s'affranchissant du consensus ou de la norme politiquement correcte, ils amènent au contraire souvent des débats essentiels, questionnent le cinéma, et sont le miroir de notre époque. Bref, ils répondent à la définition que donnait Jean Renoir du septième art : « L'art du cinéma consiste à s'approcher de la vérité des hommes, et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes. »
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 25 mai 2019)