Une rapide analyse des résultats des élections européennes dimanche soir ne prêtait guère à la confusion : le Rassemblement national de Marine Le Pen et La République en marche d'Emmanuel Macron imposent leur domination sur le paysage politique français. À moins d'un point d'écart, les deux formations ont fait le vide autour d'elles. Comme une réplique de l'élection présidentielle qui avait laminé la gauche en 2017, le scrutin européen a lessivé cette fois la droite républicaine. Déjà absente du second tour de la présidentielle, la voilà dans les limbes d'un score à un chiffre historiquement bas, ses électeurs ayant fui vers LREM ou vers le RN. Les Républicains rejoignent ainsi un champ de ruines où l'on trouve désormais toutes les autres formations, y compris La France insoumise. Quant au bon score des Verts, on pouvait l'attribuer à la nature de cette élection européenne qui leur est traditionnellement favorable. Bref, pour les années à venir, la polarisation de la vie politique entre Macron et Le Pen allait être notre quotidien.
Et pourtant, en analysant plus finement les résultats de ces élections comme le fait aujourd'hui notre sondage Odoxa-La Dépêche, ce ne sont pas deux mais trois France qui se dessinent.
La première est donc celle de La République en marche, formation centrale et centriste qui a attiré les électeurs de droite modérée ne se reconnaissant plus dans la ligne clivante et identitaire de Laurent Wauquiez. En séduisant les cadres, les plus de 65 ans, les diplômés et les revenus moyens-supérieurs, le parti d'Emmanuel Macron couvre le spectre politique occupé jadis par l'UMP, en y intégrant la gauche réformiste qui s'apprête d'ailleurs à créer un parti intégré à la majorité.
La seconde force est donc celle du Rassemblement national. Marine Le Pen a remporté une victoire personnelle en surmontant sa défaite de 2017 et en marginalisant les autres formations souverainistes de Dupont-Aignan ou Philippot. Elle a su capter la colère des Gilets jaunes et s'est attiré les faveurs des électeurs populaires aux revenus les plus modestes.
On pourrait dès lors presque parler d'un « vote de classe » comme jadis celui opposant les gaullistes aux communistes s'il n'y avait cette troisième force apparue dimanche : EELV, qui, selon notre sondage, a su attirer massivement les jeunes et s'inscrit dans un vaste mouvement européen qui veut faire de l'écologie l'axe central des politiques à mener. Cette force aujourd'hui se retrouve en tête des partis de gauche et face à la responsabilité de créer l'union pour imaginer un désir d'avenir commun – en se gardant des ego et en préservant les susceptibilités des uns et des autres. Pas simple. Les Verts, qui nous ont souvent habitués à des débats internes byzantins et des guerres picrocholines ubuesques peuvent-ils être à la hauteur de la tâche pour faire émerger, avec d'autres, une telle alternative politique ?
Le chemin est étroit, mais il existe…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 30 mai 2019)