En lançant une nouvelle campagne d'information pour rappeler à chacun que toute consommation d'alcool comporte des risques, et pour promouvoir de nouveaux repères, le ministère des Solidarités et de la Santé et Santé publique France sont bien évidemment dans leurs rôles en répondant à un problème de santé publique majeur. Mais cette nouvelle campagne rouvre aussi, une nouvelle fois, le débat entre d'un côté des médecins inquiets et d'un autre côté tous les acteurs d'une filière vinicole qui participent à l'identité de la France. Entre les deux, deux visions de la société semblent s'affronter.
D'un côté, donc, il y a les chiffres, implacables, terribles. Non seulement la consommation d'alcool est à l'origine de nombreuses maladies (hémorragie cérébrale, cancers, hypertension…), mais elle constitue aujourd'hui l'une des principales causes de mortalité évitable avec 41 000 décès par an. Et lorsque l'on parle d'alcool, on parle bien sûr de tous les alcools, que ce soient les alcools forts prisés par certains jeunes en soirée ou les vins de pays ou de prestige que l'on boit entre amis ou au restaurant. Il est quand même incroyable qu'en 2019, la ministre de la Santé Agnès Buzyn ait été récemment obligée de monter au créneau pour rappeler, parfois sous les moqueries de certains, une évidence : « La molécule d'alcool contenue dans le vin est exactement la même que celle contenue dans n'importe quelle boisson alcoolisée ». À l'heure des fake news et autre faits alternatifs, il est bon de rappeler cette vérité scientifique dont le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume semblait s'affranchir en décrétant qu'il n'était pas persuadé « que le vin soit un alcool comme les autres ».
De l'autre côté, les professionnels du vin, mais aussi nombre de consommateurs, ont tôt fait de dénoncer l'intransigeance des pouvoirs publics et des addictologues, accusés de vouloir créer une société hygiéniste, aseptisée, punitive. Pour eux, le vin est bien plus qu'un alcool. Plus encore qu'une filière économique qui fait de la France l'un des premiers producteurs au monde, le vin est aussi un patrimoine, un savoir-faire, un plaisir, le compagnon de la gastronomie à la française, chanté depuis l'Antiquité et célébré par Rabelais. Du verre de l'amitié au bistrot du coin au vin d'honneur des événements marquants, il y a dans le breuvage rouge, blanc ou rosé, une part de notre art de vivre qui, forcément, supporte mal les contraintes et les admonestations.
Mais ces deux visions de la société sont-elles à ce point irréconciliables ? Sans doute pas pour peu que l'on écarte d'un côté les plus radicaux des spécialistes de la santé et de l'autre les très puissants lobbys de l'alcool. Chacun peut alors se retrouver autour d'un point d'équilibre qui fait de la modération la règle. À cet égard, la nouvelle campagne apparaît pertinente. On ne sait si elle aura autant de succès que celle qui ancra dans les esprits le slogan « Un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts », mais son message « Pour votre santé, l'alcool c'est maximum deux verres par jour, et pas tous les jours », a le mérite de la clarté.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi mercredi 27 mars 2019)