Les images de crashs aériens sont toujours marquantes pour l'opinion. Tout simplement parce que la disparition des avions, en mer ou sur terre, se traduit par une désintégration de tout ce qui compose les appareils en des milliers de débris, de terribles «confettis» qui prennent au cœur les familles des victimes, les sauveteurs et tous ceux qui voient de telles images. Le crash d'un avion de la compagnie Ethiopian Airlines, qui s'est écrasé alors qu'il effectuait la liaison Addis Abeba-Nairobi, faisant 157 morts dont 9 Français, ne déroge pas à cette sombre règle. Comme à chaque fois l'émotion va aussi laisser place aux questions pour comprendre ce qui a pu provoquer un tel drame.
Dans le cas particulier du Boeing 737 MAX-8, l'enquête qui s'engage fait d'ailleurs écho à celle concernant un autre crash survenu il y a à peine cinq mois sur le même type d'appareil. Un Boeing tout neuf de la compagnie indonésienne Lion Air s'était écrasé en mer, faisant 189 victimes.
Les causes sont-elles similaires dans les deux accidents aériens ? L'enquête le déterminera. Mais d'ores et déjà deux enseignements peuvent être tirés de ce crash.
Le premier, d'ordre très général, est que cette catastrophe aérienne met, à nouveau, en lumière l'extraordinaire automatisation qui s'est opérée ces dernières années dans les cockpits, reliés à une multitude de capteurs qui peuvent, hélas, subir des dysfonctionnements. Et si cette montée en puissance est commune aux deux rivaux que sont Airbus et Boeing, chaque avionneur a développé sa propre philosophie de la relation homme-machine. Jusqu'où doit s'imposer l'assistance, notamment en cas de problème grave en vol ? Quelle liberté d'appréciation – d'intuition même – est-elle laissée aux pilotes ; peuvent-ils avoir le dernier mot ? Vaste débat, autant technique que philosophique, vaste «bataille» entre l'homme et la machine…
Le second enseignement, beaucoup plus précis, illustre finalement une bataille autrement plus concrète et féroce : celle, économique, que se livrent Airbus et Boeing. Face à la nouvelle génération d'Airbus A320neo, Boeing a voulu riposter en développant son Being 737 MAX, devenu depuis une locomotive pour le constructeur de Seattle (5 011 commandes fermes). Ce nouvel avion a été livré très rapidement pour contrer l'arrivée sur le marché du rival européen. Trop rapidement ? Une enquête du New York Times a révélé en février que Boeing, pour limiter les coûts d'entraînement, avait décidé de ne pas informer les pilotes de changements dans le système de contrôle des commandes, notamment dans le système antidécrochage. L'avionneur américain assurait même que les fonctionnalités entre ses anciens et nouveaux 737 étaient similaires. Il aura fallu le crash de la Lion Air, et la mise en cause d'un capteur d'incidence, pour que Boeing envoie une note rappelant aux équipages les procédures existantes pour gérer de tels problèmes. Et ce n'est qu'ensuite que le constructeur a reconnu que son nouvel avion vedette n'avait pas les mêmes fonctionnalités que le modèle précédant. Dès lors, dans la recherche des responsabilités des deux crashs, autant dire que Boeing joue gros.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 12 mars 2019)