Gérard Larcher, président LR du Sénat. |
Emmanuel Macron n'en a décidément pas fini avec l'encombrante affaire Benalla, qui, tel le sparadrap du capitaine Haddock, revient à intervalles réguliers lui gâcher son agenda politique. De révélations en révélations, on découvre, en effet, mois après mois les agissements stupéfiants de son ancien collaborateur au comportement et aux relations bien troubles, d'évidence incompatibles avec le poste qu'il occupait à l'Elysée. Mais hier, lorsque le bureau du Sénat a décidé de signaler à la justice le cas de trois collaborateurs directs du président de la République, estimant qu'ils avaient possiblement fait de faux témoignages devant la commission d'enquête sénatoriale sur les graves dysfonctionnements de l'Elysée après les événements de la Contrescarpe, la rocambolesque affaire a pris une autre dimension, judiciaire certes, mais surtout politique et institutionnelle. Paradoxalement, ce nouvel épisode pourrait constituer un utile électrochoc pour tout le monde.
Du côté du Sénat, où la décision du bureau est restée incertaine jusqu'au dernier moment, on se félicite, désormais, d'avoir tenu la ligne dure et d'avoir rempli jusqu'au bout le rôle de contrôle de l'exécutif dévolu au Parlement. Aussi scrupuleusement que l'a été le travail méticuleux et de longue haleine de la commission d'enquête qui a duré six mois, là où celle de l'Assemblée à majorité LREM s'est divisée avant de sombrer… Bien sûr, il serait naïf de croire qu'il n'y a aucune arrière-pensée politique derrière la décision d'un Sénat à majorité de droite. L'envie d'élus madrés de donner une bonne leçon du «vieux monde» à ce jeune et brillant président qui ambitionnait de réduire drastiquement le nombre de sénateurs était bien là. En décidant de viser les trois collaborateurs du chef de l'Etat, le Sénat fait donc bien passer un message et montre qu'il existe par rapport à l'Assemblée, quitte à passer pour un bastion d'opposition au président. Mais la Haute Assemblée, souvent décriée, se rapproche aussi, avec sa décision coup de poing, d'un modèle parlementaire beaucoup plus incisif avec l'exécutif, un contre-pouvoir que l'on retrouve dans plusieurs autres pays. À commencer par les Etats-Unis dont les commissions d'enquêtes sénatoriales sont aussi redoutées qu'utiles pour la démocratie.
Du côté d'Emmanuel Macron, le coup est rude, d'autant plus que son bras droit Alexis Kohler, est visé. Le chef de l'Etat n'imaginait sans doute pas le Sénat, présidé par le modéré Gérard Larcher, lui faire une aussi mauvaise manière, à l'heure où il a commencé à renouer avec les élus locaux à l'occasion du Grand débat. La majorité présidentielle aura beau crier au «procès politique», le Président serait bien inspiré de ne pas chercher à appliquer la loi du Talion et entrer en guerre contre le Sénat. Au contraire, il a là l'occasion de réorganiser en profondeur ses équipes à l'Elysée pour corriger une faute originelle commise lors de son installation à l'Elysée. Faute de disposer d'un vivier de personnalités suffisant dans son jeune parti, Emmanuel Macron a embarqué avec lui au Château la quasi-totalité de son équipe de campagne, les désormais fameux «mormons», ces trentenaires qui lui sont d'une loyauté sans faille… oubliant que la conquête du pouvoir est bien différente de l'exercice du pouvoir.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 22 mars 2019)