À 24 heures désormais d'un quatrième week-end de contestation des Gilets jaunes, la confusion reste le maître-mot d'une situation sociale, économique et politique qui évolue d'heure en heure et reste imprévisible.
Confusion chez les Gilets jaunes d'abord. Ce mouvement social né sur internet, entre pétitions en ligne et vidéos virales postées sur Facebook, est totalement inédit et donc insaisissable, tant par les corps intermédiaires que par le gouvernement ou ses oppositions politiques. Délibérément déstructuré, à l'instar de Nuit debout ou d'Occupy Wall Street, mais logistiquement organisé via les réseaux sociaux, le mouvement des Gilets jaunes peine à se choisir des leaders. Ceux qui émergent ou apparaissent sur les chaînes d'information en continu sont immédiatement contestés quand ils ne sont pas menacés de mort. Dès lors, les Gilets jaunes sont fractionnés, certaines franges – qui versent dans les infox et le complotisme le plus crasse – ne s'interdisent plus rien. Si, heureusement, le mouvement est réputé rester majoritairement contre la violence et bénéficie du soutien d'une majorité de Français, faute de structure, il n'a pu empêcher de voir s'agréger autour de lui,sinon en son sein, des mouvements de l'ultra-droite et de l'ultra-gauche à l'origine des violences de la semaine dernière à Paris et en province. Des initiatives sont apparues ces dernières heures pour que chaque région, chaque département, presque chaque rond-point occupé puissent désigner des délégués, des porte-paroles. Ce retour à la démocratie est sans doute le seul à même de clarifier des revendications qui ont depuis longtemps dépassé les taxes sur les carburants pour réclamer justice fiscale et justice sociale.
Mais la confusion est également du côté de l'exécutif. Depuis son accession à l'Elysée, Emmanuel Macron avait montré aux Français – qu'on approuve ou pas sa politique – qu'il tenait un cap, celui de réformer coûte que coûte le pays contre vents et marées, donnant peu de prises à des oppositions sans idées laminées par la présidentielle et aux Français contestataires rebaptisés sans égards Gaulois réfractaires. Las ! Depuis le début de la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron semble avoir perdu sa boussole sinon sa baraka. Après avoir martelé qu'il maintenait évidemment le cap des taxes sur les carburants au nom d'une nécessaire transition écologique – et de son budget 2019 –, voilà que le gouvernement fait marche arrière et propose d'abord un moratoire, annoncé bien trop tardivement pour calmer la colère. Le Premier ministre défend ce report devant l'Assemblée nationale, obtient un vote massif de la majorité présidentielle… avant d'être contredit le soir même par l'Elysée, qui annonce une annulation pure et simple des taxes. Dans la même journée, deux ministres évoquent à mi-mot un retour de l'ISF avant que l'Elysée n'indique que les deux impétrants ont été sévèrement recadrés par le Président en conseil des ministres…
Alors que la grogne s'étend aux lycéens, aux routiers et aux agriculteurs, que les colères convergent, il devient plus qu'urgent de sortir de la confusion. En ne sombrant pas dans la violence du côté des manifestants dont l'expression de l'exaspération, faut-il le rappeler, est constitutionnellement assurée. En trouvant rapidement, pour l'exécutif, une modalité de dialogue qui, au vu des attentes, nécessite a minima un Grenelle social. Principale cible de la vindicte, Emmanuel Macron n'a d'autres choix que de sortir de son silence pour proposer, avec humilité et lucidité, une solution s'il veut éviter que la colère ne vire à l'affrontement insurrectionnel.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 7 décembre 2018)