Accéder au contenu principal

Debattre plutôt que combattre



Trois semaines après les premières manifestations des Gilets jaunes – ce mouvement aussi inédit qu'insaisissable – la France arrive désormais, ce samedi, comme à un point de non-retour, peut-être un point de rupture où chacun va devoir prendre ses responsabilités. À l'heure de manifestations, à Paris et en province, potentiellement aussi violentes que celles du 1er décembre qui ont sidéré les Français et abîmé l'image de la France à l'étranger par leurs scènes de chaos jamais vues depuis 1968, il est temps de revenir à la raison, d'appeler au calme, de dire halte à la haine, de préférer clairement, sans préalables et sans conditions, le débat au combat.

La France, que l'on sache, n'est pas sous le joug de l'Ancien régime, ni celui d'une dictature ou d'une autocrature, ces nouvelles démocraties autoritaires, où la liberté d'expression, de penser, de voter sans entraves n'existent pas ou si peu. La constitution de notre République, nos institutions démocratiques garantissent la liberté de s'exprimer, de manifester, de faire des choix.

La situation dans laquelle se trouve la France impose à chaque partie aujourd'hui d'appeler au calme, d'arrêter les surenchères ou les paris sur un pourrissement aux conséquences incertaines et de faire un pas l'une vers l'autre.

Du côté de l'exécutif, il est temps, après trois semaines de blocages et de manifestations, de prendre – enfin – toute la mesure de cette France en colère qui souffre et survit, peinant à boucler ses fins de mois et à s'imaginer un avenir digne. Certes, Emmanuel Macron n'est pas comptable de tout, les récriminations viennent de loin, les inquiétudes se sont accumulées depuis plusieurs années, mais il est comptable de ses choix comme la suppression controversée de l'ISF, et c'est à lui, et à lui seul, en tant que Président en exercice, qu'il revient de gérer cette exaspération qui a éclaté à la faveur d'une simple taxe carbone. Une exaspération profonde que le nouveau Président n'a pas vu venir, faute de disposer des relais de terrain suffisants ; faute aussi d'avoir écarté sans ménagement les corps intermédiaires – maires, syndicats, associations – de la co-construction des lois ; faute enfin d'avoir considéré, avec des propos à l'emporte-pièce jugés méprisants, avoir raison seul contre tous. Aujourd'hui, il appartient à Emmanuel Macron de ne plus tergiverser, de stopper la cacophonie gouvernementale de ces derniers jours et de faire des propositions aussi fortes que concrètes. C'est d'autant plus réalisable que le candidat Macron d'En Marche avait su finement diagnostiquer les maux de la société française et proposer davantage de démocratie participative, avant de devenir un président jupitérien aujourd'hui première cible des Gilets jaunes.

Du côté des Gilets jaunes, justement, il convient aussi de dénoncer clairement les activistes manipulateurs qui les infiltrent et de mettre fin aux dérives haineuses de certains qui entachent la sincérité de la majorité de ceux qui occupent péages, ronds-points ou bretelles d'autoroute pour réclamer la justice sociale qui fait cruellement défaut. Les réseaux sociaux qui les ont fait connaître, ont soudé leur mouvement et permis de faire entendre leur voix, ne peuvent être une immense agora. Car s'il peut s'y exprimer «la sagesse des foules» rêvée par Aristote ou Condorcet, cette agora-là est percluse de fake news et de théories complotistes incompatibles avec une démocratie apaisée. Il faut que les Gilets jaunes surmontent leur aversion – compréhensible mais improductive – pour tout ce qui relève du politique et acceptent, en désignant des représentants, le jeu de la démocratie représentative.

Insuffler davantage de démocratie participative et une politique plus sociale que libérale pour l'exécutif, renouer avec la démocratie représentative pour les Gilets jaunes : tel est le cadre de la sortie de crise.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 8 décembre 2018)

Posts les plus consultés de ce blog

Guerres et paix

La guerre menace encore une fois le Pays du Cèdre, tant de fois meurtri par des crises à répétition. Les frappes israéliennes contre le sud du Liban et les positions du Hezbollah ravivent, en effet, le spectre d’un nouveau conflit dans cette Terre millénaire de brassage culturel et religieux. Après quinze années de violence qui ont profondément marqué le pays et ses habitants (1975-1990), la paix est toujours restée fragile, constamment menacée par les ingérences étrangères, les divisions communautaires et une classe politique corrompue. La crise économique sans précédent qui frappe le pays depuis 2019, puis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en 2020, symbolisant l’effondrement d’un État rongé par des décennies de mauvaise gouvernance, ont rajouté au malheur de ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants, jadis considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Victime d’une spectaculaire opération d’explosion de ses bipeurs et talkies-walkies attribuée à Israël, le Hezbollah – ...

Le prix de la sécurité

C’est l’une des professions les plus admirées et respectées des Français, celle que veulent exercer les petits garçons et aussi les petites filles quand ils seront grands, celle qui incarne au plus haut point le sens de l’intérêt général. Les pompiers, puisque c’est d’eux dont il s’agit, peuvent évidemment se réjouir de bénéficier d’une telle image positive dans l’opinion. Celle-ci les conforte et les porte au quotidien mais si elle est nécessaire, elle n’est plus suffisante pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, opérationnelles, humaines et financières. Opérationnelle d’abord car leurs missions ont profondément changé et s’exercent avec plus de contraintes. De l’urgence à intervenir pour sauver des vies – presque 9 opérations sur 10 – on est passé à des interventions qui ne nécessitent parfois même pas de gestes de secours et relèvent bien souvent davantage de la médecine de ville voire des services sociaux. C’est que les pompiers sont devenus l’ultime recour...

Machine à cash et à rêves

Qui n’a jamais rêvé d’être un jour le gagnant du loto, que l’on soit celui qui joue depuis des années les mêmes numéros en espérant qu’un jour ils constituent enfin la bonne combinaison ou que l’on soit même celui qui ne joue jamais mais qui se projette malgré tout dans la peau d’un gagnant, énumérant ce qu’il ferait avec ces centaines de millions d’euros qui grossiraient son compte en banque. Chacun se prend ainsi à rêver de vacances éternelles au soleil, de voyages au long cours, de montres de bijoux ou de voitures de luxe, de yachts XXL naviguant sur des mers turquoise, de grands restaurants étoilés ou plus simplement de réaliser ses projets longtemps différés faute de financements, de l’achat de sa maison au lancement de son entreprise, ou encore de partager ses gains avec sa famille ou avec ses collègues avec lesquels on a cotisé pour acheter le bulletin. Le loto, c’est une machine à rêver à laquelle chacun s’est adonné une fois dans sa vie et qui rythme toujours le quotidien des ...