Alors que la journée internationale des migrants et réfugiés se tenait hier, le débat sur les politiques migratoires divise toujours autant les opinions publiques occidentales, comme le montre notre sondage BVA-La Dépêche. 7 Français sur 10 jugent négativement la politique d'immigration de la France et celle de l'Europe, 6 sur 10 estiment que l'Union européenne devrait faire preuve de plus de fermeté sur un sujet qui menacerait son avenir, 63 % de nos compatriotes estiment que la France accueille trop de migrants et seuls 52 % sont aujourd'hui favorables au droit d'asile.
On comprend, dès lors, les réserves de certains quant à la proposition d'Emmanuel Macron d'aborder l'immigration lors du grand débat de trois mois qui va s'ouvrir dans les territoires. « Je veux que nous mettions d'accord la Nation avec elle-même sur ce qu'est son identité profonde, que nous abordions la question de l'immigration. Il nous faut l'affronter », assurait le chef de l'État le 10 décembre, ravivant le souvenir des débats et polémiques houleux sur l'identité nationale qui avaient émaillé le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Débattre de l'immigration en pleine montée des populismes en Europe, n'est-ce pas la certitude d'ouvrir la boîte de Pandore de toutes les outrances, de tous les racismes, de toutes les peurs, de tous les mensonges ? Certainement. Mais débattre de l'immigration peut aussi être l'occasion de tordre le cou à toutes ces rumeurs colportées par l'extrême droite et parfois par la droite, ces fake news qui inondent les réseaux sociaux et dont on a vu ces derniers jours un exemple édifiant avec le pacte de Marrakech. Ce pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières proposée par l'ONU recense quelques principes comme la défense des droits de l'Homme ou des enfants. En une vingtaine de propositions, il veut aider les pays à faire face à la question migratoire. Ce pacte, qui n'a rien de contraignant, est devenu la machine à fantasmes des milieux d'extrême droite qui, à coups de pétition et de tweets abjects, y voient le symbole de la submersion migratoire, de l'islamisation de l'Europe. Emmanuel Macron s'est même retrouvé accusé de «trahison» par un quarteron de généraux en retraite qui pensent que le Président veut «vendre la France»…
Évidemment, tout cela est faux et archifaux. Et un débat honnête, cadré peut être l'occasion de le démontrer.
Mais pour que ce débat soit constructif il faut que tout soit sur la table, sans hystérie ni angélisme. Il faut que ce débat sur les flux migratoires et l'accueil des migrants puisse développer des solutions au diagnostic que posait, déjà, Michel Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde… mais elle doit en prendre sa part. » La seconde partie de la phrase de l'ancien Premier ministre – souvent oubliée par tous ceux qui rêvent d'une France verrouillée et recroquevillée sur elle-même – impose de regarder la réalité qui est que notre pays, chiffres à l'appui, n'est pas à la hauteur de sa tradition d'accueil en comparaison de ses partenaires européens. Et si la question migratoire se réglera au niveau européen, la France doit renouer avec son histoire et sa devise qui a fait de la fraternité un idéal universaliste. Celui-là même qui faisait dire à Jean-Paul Sartre que « le premier des droits de l'Homme, c'est le devoir pour certains d'aider les autres à vivre. »
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 19 décembre 2018)