Un simple clic peut-il remplacer la participation à une manifestation dans les rues de sa ville ou de son village ? Inscrire son adresse e-mail au bas du formulaire d'une pétition hébergée sur une plateforme en ligne équivaut-il à des jours, des semaines des mois voire des années de militantisme, de débats voire d'empoignades dans une association, un syndicat ou un parti politique ? Ajouter son témoignage, son indignation ou sa colère sur Twitter derrière un hashtag à succès est-il de même nature que témoigner à visage découvert, devant la justice ou les médias ? Appeler à la mobilisation numérique sur une page Facebook en publiant une vidéo de soi est-il suffisant, pertinent ?
Depuis l'émergence spectaculaire des pétitions en ligne au début des années 2000 – dont les dernières concernent le mouvement des Gilets jaunes ou le climat– et des mobilisations sur les réseaux sociaux comme celles de #MeToo, #balancetonporc ou #pasdevague, ces questions se posent avec plus d'acuité que jamais et illustrent, d'évidence, de nouvelles formes de mobilisation.
Incontestablement, ces indignations numériques, ces colères digitales ont fait et font bouger les choses. Protection de l'environnement, droits de l'Homme, défense des animaux, de la santé, éducation ou sujets de société : des thèmes majeurs mais aussi parfois des sujets oubliés ou peu médiatisés ont occupé le devant de la scène, fait l'actualité, ouvert un débat nécessaire et parfois esquissé des solutions. Ces pétitions, ces tweets, ces posts ont aussi bousculé les habitudes des responsables publics à telle enseigne que la dernière pétition contre les violences faites aux femmes lancée par Muriel Robin a obtenu une réponse du Premier ministre, Edouard Philippe. Et celle qui a lancé le mouvement des Gilets jaunes a reçu la semaine dernière la réponse d'Emmanuel Macron sur Change.org qui hébergeait la pétition – une pemière – légitimant ainsi le rôle démocratique de ces plateformes.
Pour autant, s'engager d'un clic sur ces nouveaux outils numériques n'est pas neutre. Signer une pétition en ligne, c'est forcément enregistrer ses coordonnées dans une base de données d'une société privée. Est-on sûr que ces données sensibles qui reflètent nos opinions les plus intimes soient bien protégées des pirates et ne sont pas exploitées à d'autres fins, commerciales notamment ? Certaines plateformes ne sont ni des ONG, ni des associations et exploitent les données personnelles des signataires de pétitions ; y compris si l'on a signé la pétition de façon anonyme. Par ailleurs, la signature d'une pétition déclenche de la part des plateformes l'envoi d'e-mails personnalisés suggérant d'autres pétitions à signer ; une pratique susceptible in fine d'enfermer l'internaute dans une bulle.
Les mobilisations numériques font partie du paysage démocratique et ont désormais un rôle incontestable. Encore faut-il que les signataires en comprennent les tenants et aboutissants. Cela passe par le développement d'une culture numérique avec l'idée, chère à Stéphane Héssel, que derrière le Indignez-vous ! qui amène à créer ou signer une pétition en ligne, il y ait toujours un Engagez-vous ! qui dépasse forcément le seul cadre numérique…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 26 décembre 2018)