On a si souvent parlé de tournant dans la guerre en Ukraine lorsqu’un événement d’ampleur semblait rebattre les cartes avant de n’en rien faire qu’on est désormais méfiant avec cette notion au vu de l’évolution imprévisible de ce conflit atypique, à la fois hybride et de haute intensité.
Il y a eu l’inattendue et remarquable résilience ukrainienne dès les premiers jours de l’invasion russe, cette Blitzkrieg qui, selon Vladimir Poutine, devait durer trois jours pour prendre Kiev et qui s’est très vite enlisée face à la détermination des Ukrainiens et de leur président-courage Volodymyr Zelensky. Il y a eu l’importance capitale de l’usage des drones, aériens ou maritimes, dans chaque camp. Il y a eu la contre-offensive ukrainienne qui s’est fracassée sur les dents de dragons russes le long de la ligne de front. Il y a eu les massacres de Boutcha et d’Izium, les déportations d’enfants ukrainiens, les bombardements massifs des villes et villages ukrainiens, autant de crimes de guerre qui ont révulsé les opinions publiques. Il y a eu les menaces nucléaires de Poutine et l’arrivée de soldats nord-coréens, la mutinerie de Prigojine et de ses mercenaires de Wagner et l’incursion ukrainienne dans la région russe de Koursk. Autant d’événements qui ont jalonné les bientôt trois années de guerre ; autant de tournants qui n’ont pas suffisamment infléchi le cours du conflit pour espérer entrevoir son arrêt.
Et pourtant, 2025 pourrait être une année charnière. L’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis le 20 janvier ouvrira un nouveau chapitre puisque le Républicain élu le 5 novembre dernier a assuré pouvoir mettre fin au conflit « en 24 heures » ou en tout cas en quelques mois. Trump rêve d’entamer son mandat avec un coup diplomatique, du niveau des accords d’Abraham entre Israël et plusieurs pays arabes lors de son premier mandat. Le futur président isolationniste, qui ne veut plus payer pour l’Ukraine ni pour l’Otan si les Européens n’augmentent pas leur cotisation à l’Alliance atlantique, espère mettre autour de la table des négociations Volodymr Zelensky et Vladimir Poutine.
« J’ai un plan très précis pour arrêter l’Ukraine et la Russie », avait fanfaronné l’ancien président américain en septembre, en indiquant qu’il ne le dévoilerait pas afin de garder l’effet de « surprise ». Et pour l’heure, ce plan reste bien mystérieux même si des déclarations de l’entourage de Trump évoquent une « zone démilitarisée » le long de la ligne de front de quelque 1 300 kilomètres, et des garanties de neutralité données par les Ukrainiens aux Russes, c’est-à-dire pas d’adhésion à l’Otan ni à l’Union européenne.
Reste à savoir si Trump a réellement les moyens de ses ambitions face à la rouerie d’un Poutine. Opter pour une résolution rapide du conflit reviendrait à ce que l’Ukraine doive céder des territoires à la Russie – qui en occupe environ 20 % – ce qui donnerait l’impression d’une victoire de Vladimir Poutine. A contrario, se donner plus de temps pourrait prolonger une guerre qui épuise les forces des Ukrainiens. Cessez-le-feu, guerre gelée comme entre les deux Corée, escalade militaire ou traité de paix : les scénarios possibles, on le voit, ne sont pas aussi binaires que Donald Trump l’aimerait.
Le futur président américain, adepte des « deals », pourrait être tenté par un mano a mano avec Poutine avec lequel il entretient des relations ambiguës. Et pour l’heure, personne ne sait comment ce bras de fer entre le milliardaire américain et l’ex-agent du KGB pourrait tourner…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 27 décembre 2024)