« La société politique contemporaine : une machine à désespérer les hommes », déplorait Albert Camus. Que dirait le prix Nobel de littérature 1957 de la situation politique de la France s’il était encore en vie ? On n’ose l’imaginer…
L’adoption, mercredi soir, d’une motion de censure par deux des trois blocs qui composent l’Assemblée nationale – la gauche du Nouveau Front populaire, l’extrême droite du Rassemblement national et des ciottistes – signe l’échec de la méthode Barnier, celui de toutes les forces politiques de la représentation nationale sans exception et, bien sûr, celui du chef de l’État dont la dissolution, prise sur un coup de tête comme un caprice en réponse à sa défaite aux élections européennes, est bel et bien à l’origine de cette situation de blocage total.
L’ancien négociateur du Brexit, duquel on attendait beaucoup – trop sans doute – s’est heurté dès sa nomination aux petits calculs politiciens des partis, aux ambitions délétères des ténors du « socle commun » censé le soutenir et aux lignes rouges sans cesse repoussées de Marine Le Pen, qui avait pouvoir de vie ou de mort sur son gouvernement. Les députés – en tout cas ceux du front républicain, qui reste l’enseignement majeur des législatives anticipées – ont oublié le message des Français et ont été incapables de faire un pas, si petit soit-il, les uns vers les autres pour trouver quelques compromis à même d’assainir le déficit public abyssal du pays.
Bouffis d’orgueil et de certitudes, ils ont échoué à montrer que face au pouvoir monarchique de l’Elysée dans la Ve République, une voix parlementaire constructive efficiente pouvait exister. Quant au chef de l’État, qui s’est refusé à donner sa chance à un gouvernement de gauche l’été dernier par crainte qu’on remette en cause tout ou partie de sa politique nettement rejetée dans les urnes, le voilà revenu à la case départ. Fiasco intégral sur toute la ligne…
Que faire désormais pour sortir de la France de l’ornière sachant que la situation est figée puisqu’aucune dissolution ne peut avoir lieu avant juin 2025 ? Emmanuel Macron, qui, tel MacMahon en 1877, voit les demandes de démission se multiplier à son endroit, a pris la parole hier, droit dans ses bottes… pour finalement ne rien dire que les Français ne sachent déjà. Revenant sur la dissolution qu’il admet « incomprise », le chef de l’État, qui assure qu’il restera en poste jusqu’au terme de son mandat, déroule le fil des derniers mois en s’exonérant de toute responsabilité dans la situation actuelle, alors même que les Français en font le responsable numéro 1.
Faisant la leçon aux députés obsédés par des stratégies pour la présidentielle de 2027 et qui ont selon lui constitué un « front anti-républicain », Emmanuel Macron promet de nommer un Premier ministre à la tête d’un nébuleux « gouvernement d’intérêt général », qui aura finalement la même feuille de route que celle de Michel Barnier – avec les mêmes résultats ? Et le chef de l’État de conclure son allocution de 10 minutes chrono sur la réussite du chantier de Notre-Dame, qui rouvre demain, ou celle des JO de Paris comme exemples à suivre du génie français. Face à la gravité de la situation, c’est peu dire qu’on reste sur notre faim.
En visitant le chantier de Notre-Dame vendredi dernier, Emmanuel Macron a dit croire en « un choc d’espérance ». Pour l’heure et pour paraphraser Camus, les Français – dont deux études viennent de montrer la fatigue collective et la défiance politique – ressentent plutôt un choc de désespérance.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 6 décembre 2024)