À la lumière des dernières révélations qui pourraient aboutir à l’arrêt de la production de la plus emblématique eau minérale de France, on est tenté de reprendre un des slogans publicitaires de la marque : Perrier, c’est fou !
Fou effectivement d’imaginer la fin de la saga Perrier commencée au XIXe siècle grâce au savoir du docteur Perrier et au talent d’entrepreneur du britannique St John Harmsworth qui inventa la forme de la célèbre petite bouteille verte. Car Perrier, c’est la France. Imagine-t-on une table de café en terrasse l’été sans son Perrier rondelle ? La table d’une brasserie sans sa bouteille verte ? Perrier est d’autant plus entrée au patrimoine national que la marque, depuis toujours, a su marquer les esprits avec des publicités iconiques. Quarante ans après, on a toujours en tête le lion de Jean-Paul Goude. Perrier fait incontestablement partie d’un panthéon économique et intime, et illustre un certain art de vivre à la française.
Mais ce qui est fou également, ce sont bien sûr les circonstances qui pourraient conduire à un arrêt de la production et qui confine au scandale sanitaire voire au scandale d’État. Un rapport confidentiel de l’Agence régionale de Santé (ARS) d’Occitanie, révélé cette semaine par Le Monde et Radio France, conclu, en effet, que Nestlé Waters, propriétaire de Perrier depuis 1992, doit envisager la fin de la production d’eau minérale naturelle sur son site de Vergèze, où travaille un millier de salariés, en raison de risques sanitaires. L’ARS a estimé que la microfiltration, dont la réglementation a été assouplie par le gouvernement en 2023, n’est « pas réglementaire » car elle a un « effet désinfectant avéré ». Le rapport mentionne aussi un « risque virologique », les microfiltres n’ayant pas « d’effet de rétention sur les virus ».
Voilà Nestlé à nouveau au cœur d’une polémique sur la qualité de ses eaux. Le géant suisse – également propriétaire des marques Vittel, Contrex et Hépar – avait déjà dû cesser d’exploiter en avril un de ses forages gardois à la demande de l’État et détruire au moins deux millions de bouteilles après la découverte de bactéries d’origine fécale. En septembre, il a accepté de payer une amende de 2 millions d’euros dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) pour éviter un procès concernant des traitements interdits administrés pendant de nombreuses années à des eaux vendues comme « de source » ou « minérales naturelles ». L’ONG Foodwatch, qui conteste cet accord judiciaire pour éteindre les poursuites, a déposé plaintes contre X pour « tromperie » afin de relancer l’affaire.
Une affaire qui met également en difficulté le gouvernement Borne, puisque le risque viral semble avoir été négligé, en dépit des alertes de l’Agence nationale de sécurité sanitaire. Une commission d’enquête sénatoriale « sur les politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source » a déjà rendu un rapport accablant le 16 octobre dernier, déplorant « le manque de transparence de certains acteurs privés comme publics auquel s’est heurtée la mission et, surtout, la lenteur de la mise en conformité de l’industriel en l’absence de mesures plus volontaristes de l’État. » Le rapporteur PS Alexandre Ouizille, souhaite désormais pouvoir « remonter jusqu’au bout de la chaîne de décision ».
Il est effectivement plus que temps de retrouver de la transparence et de sanctionner lourdement tous ceux qui font passer la recherche du profit avant la santé de leurs clients comme ceux qui permettent de tels manquements réglementaires et éthiques.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 21 décembre 2024)