Accéder au contenu principal

Se faire entendre de Paris

agriculteurs

Dans un pays aussi centralisé que le nôtre, où le jupitérien président la République s’est montré, depuis sa première élection en 2017, bien plus jacobin que girondin, chacun sait que les colères sociales qui grondent en province ne se font bien entendre – et bien comprendre – que lorsqu’elles résonnent aux portes des préfectures ou dans les rues de la capitale. Et cela est particulièrement vrai pour les manifestations agricoles qui, à côté du déversement de fumier ou de lisier, à côté des barrages routiers et des opérations escargot dans les « territoires », ont fait de la « montée sur Paris » le point culminant à même de faire basculer leurs revendications.

La marche des bergers sud aveyronnais contre l’extension du camp militaire du Larzac qui avaient fini, en 1978, avec leurs brebis sous la Tour Eiffel, les grandes manifestations à Paris en 1982 ou en 1991 contre la réforme de la politique agricole commune (PAC), celles plus récentes, en 2014, pour demander « un nouveau plan loup efficace » : à chaque fois, Paris reste le terminus logique de revendications forgées sur le terrain et criées au plus près des lieux de pouvoir parisiens.

Le mouvement de colère démarré en Occitanie il y a une semaine ne déroge évidemment pas à la règle et, hier, les syndicats d’Île-de-France de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs ont appelé au « lancement du blocus de Paris » pour ce vendredi. Si le blocage de la capitale « doit être un des derniers recours », a tempéré le président des JA Arnaud Gaillot, l’idée fait tout de même son chemin sur les barrages, d’autant plus que, d’une part, la base n’est, par endroits, pas forcément contrôlée par les syndicats et, d’autre part, chacun a en tête la spectaculaire action des agriculteurs allemands. Le 15 janvier dernier, quelque 5 000 tracteurs avaient défilé à Berlin vers la très symbolique porte de Brandebourg pour protester contre la fin annoncée de plusieurs subventions et allégements fiscaux décidée par le chancelier Scholz.

Tétanisé par une intensification des mobilisations et leur élargissement à d’autres catégories comme les pêcheurs, le gouvernement espère pouvoir éviter une « giletjaunisation » du mouvement de grogne paysanne et le blocage de Paris. Le Premier ministre doit ainsi dévoiler aujourd’hui lors d’un déplacement en Haute-Garonne les premières mesures qui doivent montrer que l’exécutif a entendu le désarroi des agriculteurs, massivement soutenus par les Français. Gabriel Attal – qui n’a jamais eu une connaissance approfondie du monde agricole – a multiplié les réunions pour arriver à présenter des mesures concrètes et de simplification qui soient rapides et faciles à mettre en place. Les taxes sur le GNR, l’élevage et la rémunération des agriculteurs étaient ainsi au cœur des arbitrages hier.

Ces premières décisions d’urgence sont évidemment nécessaires mais seront-elles suffisantes pour répondre à des revendications protéiformes et éteindre une crise profonde ? Une crise dont chacun perçoit bien que la résolution ne se fera qu’au niveau européen et nécessitera de lever les contradictions d’une transition écologique bien plus difficile que prévu à mettre en œuvre et pour laquelle il manque un consensus.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 26 janvier 2024)


Posts les plus consultés de ce blog

Se préparer

Voilà un type de courbe que l’on n’avait pas vu depuis longtemps concernant le Covid-19 : une hausse, celle du nouveau variant du coronavirus EG.5. Baptisé Eris, ce cousin d’Omicron croît de façon vertigineuse dans le séquençage de cas positifs au Covid-19 en France comme dans d’autres pays. Beaucoup plus contagieux que ses prédécesseurs, Eris pourrait ainsi s’imposer et devenir majoritaire. Au point de relancer une pandémie mondiale que nous pensions derrière nous ? Nous n’en sommes évidemment pas là, mais l’apparition de ce nouveau variant, tout comme la possibilité de voir survenir des clusters de contamination comme cela vient de se produire aux fêtes de Bayonne, nous interroge légitimement. Même si la couverture vaccinale est bonne en France, la crainte de devoir revivre les conséquences sanitaires et socio-économiques d’un retour de la pandémie est bien dans les esprits. Peut-être aurions-nous dû écouter plus attentivement les spécialistes comme le directeur général de l’Organisa

Entaché

Dix ans après son départ du gouvernement Ayrault, Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du Budget de François Hollande, envisage-t-il son retour en politique ? En tout cas l’intéressé, condamné en appel à deux ans de prison pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, et frappé de cinq années d’inéligibilité, était hier sur le marché de Monsempron-Libos, non loin de Villeneuve-sur-Lot, la ville dont il a été le député et le maire.Fin octobre déjà il participait à une réunion, organisée à huis clos, quelques semaines après le lancement d’une association politique «Les amis de Jérôme Cahuzac». Récemment interrogé par Sud-Ouest pour savoir s’il préparait son retour politique, le septuagénaire, qui avait élu domicile en Corse où il pratiquait la médecine à l’hôpital de Bonifacio, s’est borné à répondre que «tout est une question de circonstances», faisant remarquer qu’ «on fait de la politique pour être élu et agir» et qu’il n’y avait pas d’élections avant 2026, date des prochaines m

Amers adieux

Un anniversaire… qui vire aux adieux. Air France, qui fête cette année ses 90 ans, a annoncé hier, à la surprise générale, qu’elle allait quitter en 2026 l’aéroport d’Orly et recentrer ses vols intérieurs sur son hub de Roissy-Charles de Gaulle. En quittant ainsi le deuxième aéroport du pays, la compagnie française tourne la page d’une histoire qui avait commencé en 1952, année de son arrivée à Orly. Histoire partagée depuis par des millions de Français qui, tous, peu ou prou, pour le travail ou les loisirs, ont un jour pris un avion d’Air France pour Paris-Orly, ont parfois confondu Orly-Ouest et Orly-Sud, ont accompagné le développement de la compagnie avec le lancement des Navettes vers Toulouse, Nice, Bordeaux, Marseille puis Montpellier, ont découvert au fil des ans les nouveaux Airbus, apprécié la qualité du service à bord, puis, une fois arrivés, emprunté l’OrlyVal pour rejoindre le centre de Paris ou continuer leur voyage avec une correspondance. Si l’annonce du départ d’Air Fr