Le moins que l’on puisse dire est que Gabriel Attal n’aura pas profité du moindre état de grâce après sa nomination surprise comme Premier ministre le 9 janvier dernier et qu’en moins de 15 jours il a déjà pris la mesure de cet « enfer de Matignon » expérimenté peu ou prou par tous ses prédécesseurs. Mais peu d’entre eux ont eu à affronter si rapidement après leur prise de fonction une crise aussi majeure que celle née en Occitanie ce mois-ci : la colère du monde paysan.
Pour le très parisien jeune Premier ministre, qui n’a aucune expérience du monde agricole ni ne dispose d’un solide réseau d’élus locaux – et qui, depuis 2017, s’est davantage illustré par son aisance dans la communication et le maniement d’éléments de langage que par la construction d’un solide bilan politique – résoudre cette crise s’apparente à une redoutable épreuve du feu… qui peut toutefois lui donner l’occasion de dessiner une « méthode Attal ».
Ce chemin de crête l’a amené hier en Haute-Garonne, épicentre de la contestation agricole, pour un déplacement au plus près terrain, dans une ferme commingeoise, à Montastruc-de-Salies, puis sur le symbolique barrage érigé sur l’A64. Après un échange à huis clos avec une quarantaine d’agriculteurs, le Premier ministre a ensuite pu dérouler – notes posées sur une botte de foin – les mesures d’urgences concoctées cette semaine au gré de multiples réunions ministérielles. Face aux revendications protéiformes du monde agricole, qui orchestrait hier quelque 85 points de blocages dans tout le pays, Gabriel Attal a ainsi présenté ses « preuves d’amour » aux agriculteurs.
S’en remettant au « bon sens paysan », le Premier ministre leur a assuré que « la France sans l’agriculture n’est plus la France », qu’il voulait « mettre l’agriculture au-dessus de tout », en faire la priorité des priorités de son gouvernement. À l’heure où droite et extrême droite tentent grossièrement des opérations de récupération du mouvement en vue des élections européennes, le Premier ministre est, à dessein, resté dans le très concret, annonçant un « mois de la simplification » administrative avec 10 mesures, la suppression de la taxe sur le GNR, la réduction des délais des versements des aides, notamment de la PAC, ou informant de prochaines sanctions contre la grande distribution qui ne respecte pas la loi Egalim. « Je ne vous lâcherai pas, on va se battre », a promis Gabriel Attal.
Pour le Premier ministre, ce déplacement au cœur de la contestation était absolument nécessaire, mais sera-t-il de nature à calmer la colère, à répondre réellement au désarroi qui étreint depuis des semaines, des mois, parfois des années, des agriculteurs qui ont connu par le passé tant de promesses non tenues ? Les mesures présentées hier, dont la mise en œuvre incombera aux préfets, seront-elles perçues comme des « mesurettes » comme certains l’ont dit d’emblée sur les barrages, ou sont-elles les premières lignes du « nouveau chapitre pour l’agriculture française » qu’appelle de ses vœux le Premier ministre ?
En obtenant la levée du barrage de l’A64, Gabriel Attal a fait bouger les lignes, mais il n’a pas encore convaincu la FNSEA et les JA qui ont appelé à poursuivre le mouvement. Le bras de fer continue, l’épreuve du feu aussi…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 27 janvier 2024)
Photo DDM, Nathalie Sainte-Affre.