À partir de ce lundi, la France va se replonger dans l’un des pires attentats terroristes islamistes commis sur son sol : les attaques de Carcassonne et Trèbes du 23 mars 2018, qui ont fait quatre morts. Six ans après les tueries perpétrées par Mohamed Merah à Montauban et Toulouse, l’Occitanie avait suivi avec effroi le périple meurtrier de Radouane Lakdim, abattu par le GIGN à l’issue de la prise d’otage au supermarché Super U de Trèbes, et l’acte de courage du gendarme Arnaud Beltrame, qui s’était substitué à une otage, au prix de sa vie.
Comme lors de précédents procès d’actes terroristes dont le ou les auteurs sont morts, la cour d’assises spéciale de Paris va chercher à comprendre comment le projet barbare de Lakdim a pu se concrétiser en jugeant sept de ses proches, six hommes et une femme âgés de 24 à 35 ans. Pour la plupart libres sous contrôle judiciaire, ils comparaissent pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle », et risquent une peine maximale de 30 ans de réclusion.
Une nouvelle fois, sans doute, les débats apporteront la confirmation qu’en matière de terrorisme, la théorie du « loup solitaire » ne tient pas. On voit bien que ceux qui passent à l’acte – qu’ils soient fragiles psychologiquement ou non – sont influencés, radicalisés, orientés, incités ou téléguidés, sur internet ou dans leur quartier, par un aréopage de contacts qui baignent dans ce que Gilles Képel appelle le « jihadisme d’atmosphère ». Aux probables dénégations attendues des accusés, qui diront n’avoir rien su, ni rien vu, ni rien fait pour concourir à l’entreprise terroriste de Lakdim, répondront la dignité, la colère, la force et la résilience des familles des victimes et des rescapés du 23 mars 2018, qui viendront témoigner à la barre de leur incommensurable douleur, de leurs vies brisées et bouleversées à jamais.
Mais le procès des attentats de Carcassonne et Trèbes sera aussi l’occasion de montrer que face à l’horreur du terrorisme peuvent se lever des hommes d’honneur. À Trèbes, c’est le gendarme Arnaud Beltrame qui, ce jour-là, s’est dressé pour dire non. N’écoutant que son courage, cet homme de 44 ans animé par un sens aigu de l’engagement au service de ses concitoyens, n’a écouté que son courage pour se substituer à une otage. Peu importe que son geste s’écartât des rigides procédures, Arnaud Beltrame a estimé qu’à des circonstances exceptionnelles devaient répondre des actes exceptionnels, héroïques, forgés par la bravoure, le sens du devoir et du sacrifice qu’il avait depuis toujours chevillés au corps.
Nul doute que la mémoire d’Arnaud Beltrame planera sur la salle d’audience, et qu’à la fin du procès, quelle qu’elle soit, il restera ce que le directeur général de la Gendarmerie nationale, Richard Lizurey, avait si bien résumé. « Au terroriste, dont personne n’a retenu le nom, l’ombre de l’opprobre, le noir de ses desseins, la nuit où sa mémoire à tout jamais est reléguée. Au colonel Beltrame, la pureté de son engagement, la gloire de son âme généreuse, l’éclat de son geste et de son courage. »
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 22 janvier 2024)