Devant le majestueux lac de Serre-Ponçon dont les berges blanchies montrent la spectaculaire baisse du niveau de l’eau, Emmanuel Macron aurait pu refaire le fameux geste de René Dumont il y a bientôt 50 ans. Le pionnier écologiste au pull rouge était apparu à la télévision dans le cadre de l’élection présidentielle de 1974 avec… une pomme et un verre d’eau. « Nous allons bientôt manquer de l’eau et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse » lançait le premier candidat écolo pour alerter les Français sur les pénuries à venir. Cinq décennies et un été 2022 marqué par des sécheresses intenses et des pénuries d’eau exceptionnelles plus tard, nous y sommes et l’eau apparaît plus précieuse que jamais, dès aujourd’hui avec de nombreux territoires marqués par une sécheresse hivernale inédite et pour les années qui viennent à en croire les alarmantes prévisions du Giec qui laissent entrevoir d’inévitables guerres de l’eau dans le monde.
Dès lors, on ne peut que se réjouir qu’Emmanuel Macron ait placé au sommet de l’État l’importance de la gestion de l’eau en présentant lui-même un plan dédié. Mais cette présentation file la métaphore du verre à moitié plein et du verre à moitié vide.
Le verre à moitié plein, c’est évidemment l’ampleur de ce plan « Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau » riche de 53 mesures. Organiser une nécessaire sobriété, optimiser la disponibilité et préserver la qualité de l’eau, pouvoir répondre aux crises comme les sécheresses de l’an passé amenées à se multiplier dans un contexte de réchauffement climatique et donner les moyens humains et financiers pour accompagner les Français, particuliers, industriels, agriculteurs : cette planification écologique sur l’eau qui doit mobiliser toute la société est incontestablement une bonne chose pour se préparer à ce qui nous attend en 2050, autant dire demain, c’est-à-dire une baisse des précipitations qui sera 10 fois plus importante que notre consommation d’eau actuelle…
Le verre à moitié vide, ce sont les circonstances de présentation de ce plan considéré par certains comme une diversion. On comprend bien qu’Emmanuel Macron, dont c’était hier le premier déplacement de terrain depuis deux mois, ait une brûlante envie de s’extirper du conflit social sur la réforme des retraites qui a mis le pays dans un état de tension exceptionnel et dans lequel lui-même et son gouvernement se sont dangereusement enlisés par entêtement et aveuglement. « Il y a une contestation mais cela ne veut pas dire que tout doit s’arrêter », a assuré le Président accueilli par plusieurs dizaines de manifestants encadrés par un impressionnant déploiement de force de l’ordre. Certes d’autres sujets que celui des retraites existent, mais il serait périlleux d’estimer comme l’a fait Olivier Véran que « la loi sur les retraites est derrière nous. » Le sujet est au contraire encore très loin d’être terminé et les conditions de la sortie de cette crise détermineront bel et bien les marges de manœuvre de l’exécutif et l’adhésion des Français à tous les autres sujets, plan eau compris.
Certains trouveront que le plan ne va pas assez loin dans le partage de l’eau, dans la redéfinition de notre modèle agricole très consommateur d’eau, dans la lutte contre les gaspillages ou les usages récréatifs superflus ou dans la capacité d’Emmanuel Macron à le mettre en œuvre, lui qui a si souvent déçu en matière écologique. Mais ce plan, qui deviendra aussi ce que les Français en feront, a le mérite de faire prendre conscience que l’eau est bel et bien précieuse pour tous.
(Editorial publié dans La Dépêche du vendredi 31 mars 2023)