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Risques

macron

L’entourage d’Emmanuel Macron répète régulièrement, depuis qu’il s’est lancé à la surprise générale en 2016 à l’assaut de l’Elysée, combien le chef de l’État aime « prendre son risque ». Une appétence qui, avec une incroyable capacité de rebond et une plasticité idéologique pour assumer des virages à 180°, a permis au président de la République de se sortir de situations bien complexes. Au premier rang desquelles le mouvement des Gilets jaunes, en 2018, dont il était parvenu à anesthésier – peut-être seulement provisoirement – la colère avec un grand débat national de son invention dont il était bien le seul à y croire.

En sera-t-il de même avec cette réforme des retraites qui arrive aujourd’hui devant l’Assemblée nationale et le Sénat ? En dépit d’une opposition massive et constante de l’opinion ; en dépit d’un mouvement social qui a mis dans la rue un nombre de Français jamais vu depuis 30 ou 40 ans ; en dépit des approximations, des oublis voire des mensonges de son gouvernement sur les carrières longues, sur les pensions des femmes ou sur la retraite à 1 200 € ; en dépit, enfin, de ses propres déclarations sur les retraites et le passage de 62 à 64 ans qu’il trouvait naguère hypocrite et injuste, Emmanuel Macron a maintenu coûte que coûte cette réforme, dont l’impact sur le régime par répartition n’est même pas assuré. Le ministre du Travail Olivier Dussopt a reconnu un possible « léger déficit de 300 ou 400 millions d’euros en 2030 ». Dit autrement, cette réforme mal ficelée, mal présentée et mal débattue, qui a mis sous tension et fracturé le pays comme jamais, d’abord présentée comme juste puis comme comptable pour « sauver » le système, ne parviendrait même pas à l’équilibrer. Tout ça pour ça…

Mais ce jeudi, Emmanuel Macron, qui est bien le seul inspirateur et le chef d’orchestre de la réforme des retraites, va devoir prendre son risque : laissera-t-il l’Assemblée nationale où il ne dispose que d’une majorité relative aller jusqu’au vote, quitte à le perdre ? Où optera-t-il in extremis pour une adoption sans vote en faisant dégainer à Elisabeth Borne l’article 49-3, considéré par les oppositions et le mouvement social comme un casus belli et par le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger comme « un vice démocratique » ?

Le mystère reste entier, mais quelle que soit l’option qui sera choisie, elle conditionnera, d’évidence, la suite de son second quinquennat. De façon très rapide : si le vote est perdu ou si une motion de censure est adoptée après le 49-3, le gouvernement Borne tombera, certains osent même imaginer une dissolution de l’Assemblée. Un vote gagné de justesse à l’Assemblée et Emmanuel Macron pourra passer, comme il le souhaite, à autre chose, à d’autres sujets qui ne manquent pas (école, santé, transition écologique…).

Mais après avoir brusqué à ce point le corps social, comment embarquer les Français, tous les Français, dans des réformes autrement plus structurantes pour l’avenir du pays que cette réforme des retraites ? En novembre 2018, Emmanuel Macron concédait qu’il n’avait « pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. » Cinq ans plus tard, dans une France de plus en plus polarisée et « archipélisée », cette difficile réconciliation reste toujours à bâtir. Elle devrait même être la priorité de ce quinquennat qui peine à démarrer et dont on ne distingue toujours pas le cap ni la vision. Sans cela, sans cette nécessaire réconciliation, ce sont d’autres risques, menaçants pour notre démocratie, qui surgiront en 2027…

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 16 mars 2023)


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