En choisissant pour sa sixième journée d’action contre la réforme des retraites de « mettre la France à l’arrêt », l’intersyndicale entend hausser le ton pour espérer se faire enfin entendre de l’exécutif. Cette nouvelle séquence dans le bras de fer qui oppose depuis deux mois les syndicats – très largement soutenus par les Français sur le fond et la forme – à l’exécutif, ce durcissement entre des syndicats constants dans leur opposition au report de l’âge légal de départ à 64 ans et un gouvernement droit dans ses bottes, et désormais la menace de grèves reconductibles et donc paralysantes dans un certain nombre de secteurs clés rappellent à tous les précédents conflits sur les retraites.
Les syndicats, en effet, espèrent aujourd’hui une issue en leur faveur comme en 1995. La détermination des acteurs de l’époque contre le « plan Juppé » était aussi forte que celle des protagonistes d’aujourd’hui. Et pourtant, entre la présentation de la réforme des retraites le 15 novembre 1995 et le retrait du texte, il ne s’était écoulé qu’un petit mois. La mobilisation avait payé et Jacques Chirac avait fini par reculer et lâcher son Premier ministre.
Le gouvernement actuel regarde, lui, plutôt du côté du conflit social de 2010. Présentée au Parlement le 7 septembre 2010 par le ministre du Travail Éric Woerth, la réforme des retraites est alors très vivement contestée. Mais en dépit de quatorze journées de manifestation, en dépit de millions de manifestants et des premières grèves reconductibles, le gouvernement Fillon maintient sa réforme, en l’assortissant toutefois de mesures complémentaires pour aménager ses mesures phares, et la fait voter sans ciller.
Lequel de ces scénarios pourrait s’appliquer à la réforme actuelle ? Pour l’heure personne ne le sait et il est sans doute vain d’imaginer la répétition de 1995 ou 2010 pour savoir qui, des syndicats ou d’Emmanuel Macron, cédera le premier. Le contexte politique, social et économique est radicalement nouveau. Ni en 1995 ni en 2010, le pays ne sortait épuisé d’une crise sanitaire aussi massive que celle du Covid-19, le contexte international n’était pas non plus celui d’une guerre aux portes de l’Europe ayant déclenché un retour de l’inflation et une crise énergétique d’ampleur. En revanche tant en 1995 qu’en 2010, les projets de réforme étaient clairs et nets, au contraire de celui de 2023 qui s’enfonce dans les imprécisions et le flou.
Sur les carrières longues, sur les pensions des femmes, sur la retraite à 1 200 euros, le gouvernement n’a cessé de multiplier les bévues voire les bobards. En accumulant les concessions coûteuses aux parlementaires LR pour espérer obtenir leur soutien, et en essuyant plusieurs revers parfois venus de sa propre majorité relative, l’exécutif ne peut que constater que sa réforme comptable réalisera bien moins d’économies qu’escompté.
Au final si tout le monde s’accorde à dire qu’il faut une réforme des retraites pour adapter notre système par répartition à la nouvelle donne démographique et au nouveau rapport au travail de la société française, la question se pose de plus en plus du bien-fondé de cette réforme, qui met depuis deux mois le pays sous tension. Une question qui, d’évidence, ne se pose pas encore à l’Elysée… pour l’instant. Car le devenir de cette réforme va lourdement peser sur la suite du quinquennat d’Emmanuel Macron.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 7 mars 2023)