« La société politique contemporaine : une machine à désespérer les hommes » se lamentait Albert Camus. Et il est vrai que depuis le second tour de l’élection présidentielle qui a vu la victoire d’Emmanuel Macron face à la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen, grâce à un Front républicain, la vie politique a replongé dans ce qu’elle a de moins noble : la tambouille électorale. De gauche à droite, de la majorité présidentielle sortante à l’extrême droite, pas une famille politique ne se déchire pour savoir le nombre de circonscriptions qu’il faut attribuer à telle ou telle de ses sensibilités, le ralliement qu’il faut récompenser ou la trahison qu’il faut punir, le nombre d’élus escomptés avec le financement public qui y est attaché pour cinq ans et qui conditionne la survie de certains (le PS et les Républicains) ou encore les postes ministériels espérés, qui doivent respecter des équilibres byzantins…
Chaque soubresaut, chaque rumeur, chaque fuite involontaire ou sciemment organisée, ou, pire, chaque silence, déclenche ou alimente depuis le 24 avril vitupérations, insultes, oukases ou improbables rabibochages… Et déjà, alors que le second quinquennat d’Emmanuel Macron n’a pas encore officiellement commencé, certains pensent au coup d’après, l’élection présidentielle de 2027… Pas sûr que les Français, dont l’abstention massive à l’élection présidentielle a illustré la méfiance que leur inspire la politique, s’y retrouvent et vont se réconcilier de sitôt avec la chose publique.
Et pourtant, derrière les stratégies électorales, entre chausse-trappes et jeu de billard à trois bandes, derrière cette tambouille finalement très humaine et pas plus opaque qu’autrefois, il y a bien LA politique, celle des idées, qui n’ont pas suffisamment été explicitées lors de la campagne présidentielle. Pour la gauche, la question est de savoir s’il peut y avoir une union, comme en 1981 ou en 1997, en dépit de divergences profondes sur certains thèmes, mais qui permettrait à chaque formation d’exister au plan national, de pousser des idées communes à tous et peut-être même de gouverner. Pour la droite il s’agit surtout de survivre pour espérer se réinventer : un chemin existe-t-il encore entre le macronisme et la droite nationaliste identitaire ? Pour l’extrême droite, l’union des droites prônée par Eric Zemmour n’est-elle qu’un concept flou face à la dédiabolisation en trompe-l’œil d’un Rassemblement national qui se heurte à un plafond de verre – mais pour combien de temps ?
Et pour la majorité présidentielle, suspendue aux décisions léonines du Président, la question est de savoir quel sens va donner Emmanuel Macron à son second quinquennat : continuer à réformer sabre au clair sans se soucier des corps intermédiaires ou apaiser – réparer presque – un pays fracturé comme jamais entre villes et ruralité, jeunes et vieux, catégories populaires et aisées ?
Ces élections législatives qui doivent donner 577 députés à la Nation sont précédées de jeux d’appareils et d’alliances passionnants pour les uns, exaspérants voire désespérants pour les autres. Mais il s’agit aussi d’un moment démocratique pour le pays qui ne saurait être une formalité et qu’il ne faut pas rater.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 4 mai 2022)