Au 72e jour ce vendredi de l’ « opération militaire spéciale » censée « libérer » les Ukrainiens du Donbass et au-delà, et « dénazifier » un pays prétendument aux mains de dirigeants corrompus, force est de constater que rien ne s’est passé comme prévu pour Vladimir Poutine. Cette « opération » qui devait lui permettre de s’emparer du pays en quelques jours et installer à sa tête un régime fantoche à sa botte, s’est au contraire enlisée, bloquée par l’incroyable résistance du peuple ukrainien et les ratés logistiques humiliants d’une armée russe pourtant bien plus nombreuse et bien plus puissante.
Elle s’est aussi révélée totalement contreproductive pour le maître du Kremlin : non seulement cette invasion a fait émerger chez les Ukrainiens un puissant sentiment patriotique, scellé autour de leur président-courage Volodymyr Zelensky, mais elle a aussi réveillé l’Europe, désormais convaincue de la nécessité d’une défense commune, ragaillardi l’Otan, dont Emmanuel Macron avait acté la « mort cérébrale » et que la Finlande et la Suède veulent rejoindre, et suscité la solidarité et l’indignation du monde face aux crimes de guerre russes. À ce fiasco s’ajoutent la mise au ban de la Russie de nombreuses instances internationales et des sanctions économiques et financières qui, si elles n’ont pas encore porté tous leurs effets, pourraient être implacables dès que l’Europe mettra en œuvre un réel embargo sur ses importations de gaz et de pétrole russes.
Dans une telle situation, n’importe quel dirigeant s’assoirait à la table des négociations pour arrêter la guerre et rechercher le chemin d’un compromis. Pour Vladimir Poutine – qui, depuis son arrivée au pouvoir, a fait de l’exacerbation du sentiment national de la Grande Russie sa marque de fabrique – il ne saurait en être question. Impossible de perdre la face, pas question de céder à la communauté internationale, quitte à travestir la réalité dans une fuite en avant dont personne ne sait réellement jusqu’où elle ira.
À trois jours de la date commémorative de la victoire de la Russie sur l’Allemagne nazie, Vladimir Poutine entend faire du 9-Mai une démonstration de force en faisant défiler à Moscou les armes sophistiquées et pour certaines nucléaires dont dispose l’armée russe et qu’il menace d’utiliser contre les pays – États-Unis en tête – qui aident l’Ukraine. Quel message va délivrer Vladimir Poutine lors de cette cérémonie ? Va-t-il célébrer la victoire de la prise de Marioupol, la « libération » du Donbass ? Ou alors va-t-il officiellement déclarer la guerre à l’Ukraine qui, de facto, deviendrait une guerre mondiale ?
À ce message guerrier du 9-Mai qui viendra de la Place rouge, l’Europe doit opposer un autre message, un message de paix. Car ce 9-Mai est la Journée de l’Europe qui célèbre la « déclaration Schuman » du 9 mai 1950, l’acte de naissance de l’Union européenne qui n’a jamais été autant d’actualité. « L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre », rappelait alors le diplomate français, donnant un conseil qui, aujourd’hui que l’Europe est faite, devrait inspirer voire obliger nos dirigeants : « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ».
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 6 mai 2022)