Le drame qui s'est noué dimanche soir à la maison de retraite La Chêneraie au Lherm, au sud de Toulouse, faisant au moins cinq morts et une vingtaine de blessés, impose à chacun d'entre nous d'apporter, en premier lieu, soutien et compassion à des familles aujourd'hui profondément éplorées et légitimement en colère. Au soir de leur vie, les résidents de cet établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de taille moyenne, ne méritaient pas de finir leurs jours de façon aussi tragique et violente. En attendant que l'enquête se prononce sur ce qui, aujourd'hui, apparaît comme une intoxication alimentaire fulgurante, ce drame soulève tout de même un certain nombre de questions auxquelles il serait bon que les pouvoirs publics apportent des réponses, d'autant plus que la question du grand âge et du financement de la dépendance des personnes âgées sont au cœur des débats et constituent un enjeu majeur pour la France dans les années qui viennent.
Ce drame intervient aussi dans un contexte particulier où les critiques contre les Ehpad se sont multipliées ces derniers mois. Que ce soient des affaires de maltraitance physique contre des personnes âgées, des conditions de vie et d'hygiène particulièrement dégradées pour les résidents, des personnels souvent de bonne volonté mais épuisés par des contraintes horaires insurmontables, ou des directeurs obligés à dégager un maximum de bénéfices pour des groupes privés de plus en plus importants : le fonctionnement des maisons de retraite interroge. Dans un livre récemment publié (« Tu verras maman tu seras bien », XO éditions), un ancien directeur d'Ehpad raconte cette pression exercée par les groupes propriétaires de maisons de retraite. « Je devais respecter une enveloppe de 4,35 € par jour et par résident pour le petit-déjeuner, deux repas et deux collations. Comment voulez-vous dans ces conditions proposer une nourriture qui fasse envie ? Essayez de manger pour 1 € par repas » témoignait Jean Arcelin dans nos colonnes fin mars, estimant, amer, que les Ehpad sont devenus « un business dont le cœur est l'exploitation commerciale de la plus grande vulnérabilité humaine. »
Car d'un côté les familles paient très cher des prestations vantées dans des brochures sur papier glacé et de l'autre, la réalité de ce que vivent leurs parents est aux antipodes de ces promesses. Entre les deux, certains groupes, qui ont un comportement analogue aux fonds vautours spéculatifs, dégagent des bénéfices colossaux. Né en 2003 de la fusion de quatre sociétés, coté en Bourse depuis 2006 et gestionnaire de plus de 800 établissements en Europe, le groupe Korian propriétaire de la Chêneraie – qui a chuté en Bourse hier – a ainsi dégagé 3,33 milliards d'euros de chiffre d'affaires l'an dernier, en hausse de 6,4 %…
Il ne s'agit pas bien sûr de jeter la pierre à tous les acteurs privés ou publics de la dépendance, mais à l'heure où la société doit penser la prise en charge du grand âge, il convient dès à présent de fixer un cadre et des règles claires où la rentabilité passera derrière la dignité humaine que l'on doit à nos anciens.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 2 avril 2019)