La forme, disait Victor Hugo, c'est le fond qui remonte à la surface. Dès lors on comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron et le gouvernement s'attachent à organiser le plus méticuleusement, le plus clairement et le plus précisément possible le cadre du Grand débat qui s'ouvre aujourd'hui pour deux mois afin de trouver une sortie à la crise des Gilets jaunes. Car l'exécutif sait qu'après l'épreuve orale – les vœux du Président – et l'épreuve écrite – la lettre aux Français d'Emmanuel Macron publiée hier notamment dans La Dépêche – il n'y aura pas de session de rattrapage… Ainsi, après la défection surprise de Chantal Jouanno du pilotage du Grand débat, Emmanuel Macron et Edouard Philippe jouent cartes sur table. Deux ministres – qui ont mouillé le maillot dans la crise des Gilets jaunes – vont copiloter le débat, un comité de sages sera garant de sa bonne tenue, des référents à l'impartialité indiscutable seront nommés dans chaque département. Un kit d'outils sera disponible pour l'organisation des débats locaux par les Français. Et les maires et les associations, si souvent toisés par Emmanuel Macron par le passé, vont pourvoir jouer un rôle capital. Autant d'éléments qui peuvent permettre de retrouver le chemin d'une discussion démocratique. Autant de jalons pour retisser du lien et débattre «en confiance» comme le souhaite Emmanuel Macron en conclusion de sa lettre.
Mais au-delà de la forme de ce débat, il y a bien sûr le fond. Emmanuel Macron a décidé de tout mettre sur la table, de ne rejeter aucun thème, y compris celui – explosif – de l'immigration, de n'interdire aucune question – lui-même en pose 35 aux Français. C'est une première dans la Ve République qu'un Président en exercice remette ainsi en jeu les sujets qui ont – théoriquement – été soldés par le suffrage électoral de 2017. Et cette démarche inédite de démocratie participative de grande ampleur ne peut qu'être saluée, quand bien même certains n'y voient qu'un exercice de communication, du bavardage, de l'enfumage. Pour autant, en expliquant « Je n'ai pas oublié que j'ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle », Emmanuel Macron fixe les limites qui concernent justement la pierre angulaire de la crise : sa politique fiscale, marquée par la suppression de l'ISF. Il oublie cependant qu'un grand nombre a voté pour lui, non pour son programme, mais par défaut.
Nul ne sait pour l'heure ce qu'il adviendra de ce Grand débat dans deux mois, et, surtout, ce que le gouvernement en retiendra réellement. En ouvrant la discussion sur des thématiques aussi vastes, Emmanuel Macron prend le risque de ne pouvoir satisfaire toutes les exigences et de créer ainsi des frustrations. Le Président fait là un pari sur la suite de son quinquennat, un pari aussi sur la capacité des Français à passer de la colère aux propositions, et, un jour, de la défiance à la confiance...
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 15 janvier 2019)