Le Grand débat national qui a été lancé hier dans l'Eure par Emmanuel Macron sera-t-il une « invention démocratique » selon l'expression du philosophe Bernard-Henri Lévy, une «agora où peuvent advenir le combat des idées et la conquête de nouveaux droits» ? Ou bien l'Histoire n'en retiendra-t-elle qu'un artifice de communication d'un exécutif aux abois, qui n'aura été le prélude qu'à une nouvelle crise politique et institutionnelle plus dure encore que celle ouverte par les Gilets jaunes il y a deux mois ? Impossible pour l'heure de faire un tel pronostic sur cet outil inédit dans la Ve République. Un outil dont la mise en œuvre soulève presque autant de questions que n'en contenait la lettre aux Français d'Emmanuel Macron.
Qui seront, vendredi, les cinq personnalités qui composeront le collège des garants de l'indépendance et de l'impartialité du Grand débat ? Les ministres Emmanuelle Wargon et Sébastien Lecornu – qui ne sont pas à l'abri d'une polémique analogue à celle qui a empêché Chantal Jouanno – pourront-ils animer ce Grand débat en étant finalement juge et partie ? S'il n'y a pas de questions interdites selon le mot du chef de l'Etat, la ligne rouge tracée autour de l'ISF pourra-t-elle être tout de même franchie, comme il l'a laissé entendre hier? Comment se fera le tri dans les milliers de doléances recueillies sur internet ou lors des réunions locales ? Et qu'en retiendra au final le gouvernement dans deux mois ? Autant de questions qui restent en suspens.
Il en est une, pourtant, plus capitale que d'autres : quelle sera la participation des Français ? Répondront-ils à l'invitation du Grand débat pour faire de celui-ci la respiration démocratique qui, d'évidence, manque au système du quinquennat depuis que présidentielles et législatives se suivent sans qu'il n'y ait de vote intermédiaire.
Après deux mois de crise des Gilets jaunes, il est capital que cette participation soit massive et que chacun, pour cela, écoute l'autre et sorte, enfin, de sa bulle.
Bulle de filtre des réseaux sociaux pour les Gilets jaunes. Depuis novembre, les manifestants qui s'organisent avec succès sur Facebook se sont comme enfermés dans un monde parallèle où circulent des informations n'allant que dans leur sens et une quantité incroyable de fake news et de théories complotistes. Les Gilets jaunes, dont la majorité porte des revendications légitimes, doivent sortir de leur bulle, accepter la contradiction et la critique. Et, eux qui réclament plus de démocratie directe, se confronter au débat d'idées.
Le gouvernement et la majorité présidentielle doivent, eux aussi, sortir de leur bulle. Et concevoir que la Ve République est une démocratie représentative qui tire sa légitimité du peuple et non pas une épistocratie, c'est-à-dire un régime politique qui puise sa légitimité dans le seul savoir des experts… Emmanuel Macron et sa majorité doivent se défaire des seuls conseils de ces derniers, écouter et surtout entendre les doléances qui s'exprimeront dans le Grand débat.
Seul cet effort partagé de part et d'autre fera du Grand débat un potentiel succès démocratique. Chacun doit aujourd'hui lui donner sa chance.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 16 janvier 2019)