Pour condamner l'avortement, le pape François n'hésite pas à emprunter le vocabulaire de la mafia, comme lorsqu'il avait récemment comparé l'interruption volontaire de grossesse au recours à un « tueur à gages ». Il est un terme mafioso par excellence que le chef de l'Église catholique devrait considérer concernant les affaires de pédophilie qui touche son clergé : l'omerta. Car, à bien y regarder, la multiplication, ces dernières années, des scandales de viols et d'agressions sexuelles sur mineurs commis par des religieux a mis en lumière comment la loi du silence a régné pendant des décennies – et semble parfois régner encore – au sein de l'Église, jusqu'au plus haut niveau de la Curie.
Aux États-Unis, au Chili, en Allemagne, en Irlande ou en Australie, ce sont des dizaines d'affaires similaires qui ont été commises par des prêtres, ensuite couverts par leur hiérarchie. Il aura fallu le courage des victimes et de leurs familles, doublement trahies dans leur foi et dans leur chair, et très souvent la pugnacité de la presse pour révéler des scandales qui s'étalent parfois pour certains d'entre eux sur plusieurs dizaines d'années. À l'heure des réseaux sociaux et d'une société plus transparente, le système de silence et parfois de protection, le règne du mutisme et parfois du mépris pratiqués par l'Église ne pouvaient, d'évidence, plus tenir.
Le pape Benoît XVI avait pris l'ampleur et le danger pour l'Église des scandales à répétition, en donnant, le premier, des consignes de tolérance zéro envers les prêtres pédophiles. Le Vatican avait alors reconnu avoir reçu des diocèses locaux des milliers de rapports d'abus. Au final quelque 400 prêtres ont été défroqués au cours du pontificat de Benoît XVI – des chiffres jugés bien insuffisants par les associations de victimes. Alors que les scandales se poursuivaient, le pape François a confessé sa « honte » dans une lettre « au peuple de Dieu », puis a demandé pardon aux victimes d'abus sexuels, notamment lors d'une visite en Irlande. Insuffisant là aussi pour les victimes qui dénoncent des sanctions souvent tardives ou pas à la hauteur des enjeux.
C'est dans ce contexte que s'ouvre aujourd'hui la conférence des évêques de France à Lourdes. Il y a un peu plus de deux ans dans cette enceinte, en mars 2016, le cardinal Barbarin, accusé de n'avoir rien fait pour stopper les agissements d'un prêtre pédophile de son diocèse, avait lâché que « la majorité des faits grâce à Dieu sont prescrits »… C'est dire si la conférence de cette année va devoir montrer que l'Église de France a, depuis, pris la mesure de la pédophilie dans ses rangs. Plus que des dispositifs d'écoute des victimes – ils sont nécessaires –, plus que l'expression de la honte ou la demande de pardon – ils sont attendus –, les croyants, comme ceux qui ne le sont pas, attendent du clergé qu'il sorte de l'ambiguïté, fut-ce à son détriment, qu'il prenne ses responsabilités et les mesures pour en finir avec l'omerta et l'aveuglement.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 3 novembre 2018)