Accéder au contenu principal

F(r)acture sociale



Les hasards du calendrier font parfois s'entrechoquer les événements, parvenant à les éclairer souvent, à en multiplier la force quelques fois. Alors que le mouvement des Gilets jaunes bloque ronds-points et bretelles d'autoroute depuis deux semaines pour réclamer davantage de pouvoir d'achat et moins de taxes, une étude réalisée par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), publiée le 20 novembre, indique que le revenu disponible des ménages – ce qui reste aux ménages une fois déduits les impôts et les cotisations – aurait baissé en moyenne de 440 euros en France entre 2008 et 2016. Une perte qui avoisine quelque 160 euros pour les 5 % de foyers les plus modestes et 2 500 euros pour les 5 % les plus aisés.

Les auteurs de l'étude se sont concentrés exclusivement sur l'impact des réformes sociales et fiscales mises en place sous les deux précédents quinquennats, les évolutions démographiques et celles du marché du travail. Il en ressort que l'augmentation des prélèvements a pénalisé les ménages les plus riches, que les classes moyennes ont été frappées par l'augmentation des cotisations sociales ou par les prélèvements sur les revenus du capital ; et que si les réformes menées après 2008 ont évité aux plus modestes de tomber dans une plus grande pauvreté, un tiers des ménages modestes a tout de même vu ses revenus baisser…

Cette étude permet donc de tirer plusieurs leçons quitte à tordre le cou à bien des idées reçues : oui, les ménages les plus aisés ont bien été les plus mis à contribution ces dernières années mais les plus riches d'entre eux ont vu leur patrimoine s'accroître ; oui, les ménages les plus modestes ont bénéficié de la politique sociale et d'amortisseurs sociaux, mais la réduction des inégalités reste trop insuffisante.

Au final, l'étude semble dire que le modèle social français, si perfectible et si décrié soit-il, a tenu le coup et évité une situation bien pire.

Mais face à la détresse, au désarroi qu'expriment notamment les Gilets jaunes, cet argument ne tient pas. Car l'étude de l'OFCE, bâtie sur un modèle de microsimulation statistique ne tient pas compte d'un facteur essentiel, éminemment politique : le ressenti global de la population. Le gouvernement a beau marteler, chiffres à l'appui, que le pouvoir d'achat va augmenter, que la baisse de la taxe d'habitation va porter ses effets, et que la réforme des cotisations salariales va augmenter le montant de la fiche de paie, il est inaudible. Car il oublie qu'aucun chiffre ne peut amoindrir la perception de perte de pouvoir d'achat.

Dès lors, à quelques semaines de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source – dont l'impact psychologique potentiel avait fait douter Emmanuel Macron cet été – l'exécutif va devoir agir sur la question du pouvoir d'achat et du ras-le-bol fiscal. Agir concrètement pour régler ce que Jacques Chirac avait diagnostiqué en 1995 et qu'aucun des gouvernements de droite et de gauche successifs n'a réglé depuis : résorber la fracture sociale… pour éviter la facture sociale.

(Editoral publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 29 novembre 2018)

Posts les plus consultés de ce blog

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Machine à cash et à rêves

Qui n’a jamais rêvé d’être un jour le gagnant du loto, que l’on soit celui qui joue depuis des années les mêmes numéros en espérant qu’un jour ils constituent enfin la bonne combinaison ou que l’on soit même celui qui ne joue jamais mais qui se projette malgré tout dans la peau d’un gagnant, énumérant ce qu’il ferait avec ces centaines de millions d’euros qui grossiraient son compte en banque. Chacun se prend ainsi à rêver de vacances éternelles au soleil, de voyages au long cours, de montres de bijoux ou de voitures de luxe, de yachts XXL naviguant sur des mers turquoise, de grands restaurants étoilés ou plus simplement de réaliser ses projets longtemps différés faute de financements, de l’achat de sa maison au lancement de son entreprise, ou encore de partager ses gains avec sa famille ou avec ses collègues avec lesquels on a cotisé pour acheter le bulletin. Le loto, c’est une machine à rêver à laquelle chacun s’est adonné une fois dans sa vie et qui rythme toujours le quotidien des ...

Facteur humain

  Dans la longue liste de crashs aériens qui ont marqué l’histoire de l’aviation mondiale, celui de l’Airbus A320 de la Germanwings, survenu le 24 mars 2015, se distingue particulièrement. Car si le vol 9525, reliant Barcelone à Düsseldorf, a percuté les Alpes françaises, entraînant la mort de 150 personnes, ce n’est pas en raison d’une défaillance technique de l’appareil ou d’un événement extérieur qui aurait impacté l’avion, mais c’est à cause de la volonté du copilote de mettre fin à ses jours. L’enquête, en effet, a rapidement révélé que celui-ci, souffrant de problèmes de santé mentale non décelés par les procédures en vigueur, avait volontairement verrouillé la porte du cockpit, empêchant ainsi le commandant de bord de reprendre le contrôle de l’appareil. Ainsi, ce crash singulier touche au point le plus sensible qui soit : la confiance des passagers dans les pilotes à qui ils confient leur vie. C’est pour cela que cette tragédie a eu un tel impact sur l’opinion publique et a...