En 1975, petits et grands s'émerveillaient devant leur téléviseur, les yeux rivés sur deux triangles blancs se renvoyant un petit carré de part et d'autre d'une ligne en pointillé départageant en deux l'écran noir. Pong, ce jeu simplissime imaginé trois ans plus tôt par l'Américain Nolan Bushnell et développé par Allan Alcorn, a fait le succès d'Atari et donné le top départ de l'incroyable aventure des jeux vidéo. En moins de cinquante ans, profitant de l'exponentielle montée en puissance de l'informatique, les jeux sont devenus de véritables œuvres, passant des salles d'arcades aux chambres des adolescents voire au salon des parents ou à celui des maisons de retraite et investissant, désormais, nos mobiles et demain nos casques de réalité virtuelle.
Aujourd'hui, on est bien loin de Pong et les jeux vidéo, lancés partout dans le monde, disposent, pour les plus importants d'entre eux, de budgets dignes des blockbusters du cinéma américain. Comme ces films, ils mobilisent des équipes pléthoriques (scénaristes, illustrateurs, programmateurs, etc.) et sont porteurs d'une certaine culture – la culture geek – qui, plus qu'aucune autre, a su se remettre en cause, évoluer au gré des attentes des joueurs, des générations, des technologies… et des polémiques.
Car le jeu vidéo a souvent eu mauvaise presse, souffrant de tous les clichés. La violence de plusieurs titres accusés par certains d'avoir une responsabilité dans les tueries scolaires, notamment aux États-Unis ; la représentation controversée de la femme, de la sexualité, de la religion ; l'addiction qu'ils provoqueraient chez les joueurs ; le piratage endémique dont ils seraient porteurs : autant de polémiques qui reviennent régulièrement.
Portées par des parents ou des professionnels de la santé, elles sont parfois tout à fait légitimes, et l'industrie du jeu vidéo a établi avec les pouvoirs publics un certain nombre de règles qui sont bien respectées. Provoquées ou attisées à des fins politiciennes, ces polémiques, qui font des jeux vidéo des boucs émissaires faciles, rejoignent alors les fake news. Et lorsqu'en septembre dernier, un portrait publié dans la presse de l'ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen indique «jeux vidéo» dans la colonne «j'aime pas», on frôle la faute politique (heureusement rattrapée depuis).
Car le jeu vidéo, plébiscité comme loisir familial, a largement dépassé son seul aspect ludique pour devenir un phénomène de société et un atout économique. En 2019, le chiffre d'affaires mondial du jeu vidéo devrait être de 118,6 milliards de dollars. En France l'an dernier, il a atteint 4,3 milliards d'euros, affichant une croissance de +18 %. Un succès populaire et économique donc, qui doit aussi beaucoup à la créativité d'une filière française dont la french touch, saluée à l'international, est un atout diplomatique à l'heure du soft power et de la défense de l'exception culturelle. Plus que jamais, le jeu, c'est du sérieux.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 2 novembre 2018)