« Dans une guerre civile, la victoire même est une défaite », disait le poète latin Lucain. En Syrie, après sept ans d'une guerre sanglante qui fut d'abord une insurrection et, pour beaucoup, une révolution dans le sillage des Printemps arabes de 2011, on voit bien que la victoire du régime de Bachar al-Assad – qui est encore loin d'être définitivement acquise – sera assurément une défaite pour ce pays de quelque 18 millions d'habitants aujourd'hui, après l'exil de près de 5 millions de Syriens...
Une défaite pour le président syrien quand bien même se proclamerait-il victorieux. Jadis dirigeant moderne, laïque, protecteur des minorités en Orient, Bachar al-Assad était un acteur clé de la région progressivement apprécié par l'Occident. Il s'est mué en un dictateur impitoyable, autorisant la répression et la torture à une échelle rarement vue et vraisemblablement l'emploi d'armes chimiques pour garder à tout prix un pouvoir clanique.
Une défaite pour l'opposition syrienne, ensuite. Appelée au début «Armée syrienne libre» (ASL), elle n'aura jamais réussi à se constituer en une force coordonnée et centralisée. De plus, trop dépendante de l'aide extérieure pour son financement et son équipement, elle est apparue trop morcelée et a été dominée petit à petit par des islamistes plus ou moins radicaux, éloignant de fait la perspective d'une transition politique.
Une défaite pour les Occidentaux aussi qui ont naïvement cru que le vent de révolte qu'avaient fait souffler des collégiens à Deraa en mars 2011 était le même que celui de la révolution de Jasmin en Tunisie. Et qui ont par la suite multiplié les erreurs d'appréciation et affiché leur incapacité à avoir une position commune claire au-delà de la seule dénonciation des atteintes aux droits de l'Homme. Tout le contraire des Russes qui, grâce à leur très bonne connaissance de la région, sont revenus au premier plan tant sur le terrain que sur la scène internationale. Tout le contraire aussi d'autres pays comme l'Iran, l'Arabie saoudite ou la Turquie pour lesquels la Syrie est devenue un jeu d'échecs.
À ces défaites s'ajoute celle – en trompe-l'œil – des jihadistes de l'Etat islamique. Certes, sous les coups des forces kurdes syriennes au sol et de l'appui de la coalition internationale menée par les Etats-Unis dans les airs, Daech a subi de lourdes défaites et le califat n'est plus qu'un souvenir. Mais son idéologie a essaimé partout dans le monde, Daech revendiquant de nombreuses actions terroristes.
Ces défaites qui bouleversent la géopolitique font peut-être oublier l'essentiel : ce que vivent réellement les Syriens. Qu'est devenu leur quotidien après des années de conflit et quelque 350 000 morts ? Qui sont ceux qui sont restés en dépit de tout quand 5 millions de Syriens ont fui le pays pour devenir des réfugiés ? Quelles sont les aspirations d'un peuple essoré par cette guerre sans fin ?
Pour répondre à ces questions et comprendre cet Orient compliqué où se jouent les mécaniques du chaos, la presse reste essentielle pour recueillir sur place, parfois au péril de la vie de ses journalistes mais loin des propagandes et des fake news, les témoignages de ceux qui vivent en Syrie et qui, au-delà de toutes les défaites, nous racontent l'espoir et leur envie de paix.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 29 octobre 2018)