En 1889, lorsqu'il s'apprêtait à mettre en place en Allemagne le premier système de retraites par répartition, le chancelier Bismarck aurait demandé à l'un de ses conseillers : « A quel âge faut-il fixer l'âge de la retraite pour qu'on n'ait jamais à la verser ? » « À 65 ans », lui aurait-il répondu… faisant sourire Bismarck qui avait alors 74 ans. Derrière l'anecdote, c'est toute la problématique des retraites qui était – déjà – posée et qui, presque 130 ans plus tard se pose à nouveau à Emmanuel Macron à l'heure où son gouvernement va engager une réforme de notre système des retraites fondé par le général de Gaulle en 1945, sur la base du programme du Conseil national de la Résistance. Une problématique qui se résume en une question. Comment continuer à avoir un système par répartition pérenne qui ne mette pas en péril les deniers publics, alors que, d'une part, il va y avoir 1,5 actif pour 1 retraité à l'horizon 2030 (contre 2,5 pour 1 en 1970), et que, d'autre part, l'espérance de vie a fortement augmenté ?
À cette question, les gouvernements de droite et de gauche ont chacun apporté ces dernières années des réponses dont au final on retient surtout le recul de l'âge de départ à la retraite. Emmanuel Macron, tout à sa volonté disruptive, a décidé d'engager le big bang que ses prédécesseurs, par électoralisme ou manque de courage politique, n'ont pas osé faire. Il s'agit de mettre en place, de façon progressive, un nouveau système universel avec un «principe d'égalité» stipulant que pour chaque euro cotisé, il y aurait le même droit à pension pour tous ; et un principe de maintien de l'âge de départ à la retraite, fixé actuellement à 62 ans.
Reste que ce « principe d'égalité » mis en avant et martelé par l'exécutif n'est pas – en l'état des concertations – un principe d'équité. Si l'on peut déplorer le maquis des quelque 40 régimes de retraites différents en France, on ne peut pas passer par pertes et profits le fait qu'ils ont été mis en place justement pour tenir compte et corriger des situations professionnelles particulières. Un seul régime universel assurera-t-il vraiment un traitement équitable de tous ? Et si l'on s'achemine vers une retraite à points, forcément très individualisée, en remplacement du système actuel par trimestre, est-on sûr que l'esprit de solidarité et de péréquation sera bien maintenu, par exemple avec les carrières longues ou les métiers pénibles ?
La vaste remise à plat que souhaite Emmanuel Macron, on le voit, soulève questions et inquiétudes, notamment de la part des syndicats. Bien plus que la réforme du Code du travail ou celle de la SNCF, celle des retraites est hautement risquée pour l'exécutif et il faudra tout le doigté du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, et probablement quelques concessions, pour que le pari d'Emmanuel Macron réussisse.
Car le président, en difficulté depuis l'été, joue gros sur ce dossier : à la fois sa capacité à «transformer» l'une des clés de voûte de notre système social à la française, mais aussi la possibilité de renouer avec ceux qui sont déjà retraités et qui, se sentant malmenés depuis le début du quinquennat, demandent, là aussi, un peu plus d'équité.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 11 octobre 2018)