« Je vous parle d’un franc que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ». À l’heure où l’on célèbre l’anniversaire de la monnaie unique, la tentation de paraphraser Aznavour est tentante car, après deux décennies, ce sont désormais quelque 16 millions de jeunes Français qui n’auront connu que l’euro quand leurs aînés ont vécu ce passage, aussi historique qu’inédit, de changement de monnaie. C’est peu dire que l’arrivée de l’euro avait suscité des angoisses, les Français étant particulièrement mal lotis avec ce taux de conversion d’un euro pour 6,55957 francs. Entre les astuces de calcul mental des uns et les calculatrices à double affichage des autres, la monnaie unique – qui existait formellement depuis le 1er juillet 1999 – a fini par s’imposer même si, vingt ans plus tard, un Français sur deux continue ponctuellement à effectuer la conversion euro-franc et si nombreux sont ceux qui pensent que la monnaie unique a fait augmenter les prix.
Salué par le président Chirac comme « une victoire de l’Europe » qui affirmait « enfin son identité et sa puissance », l’euro apparaît aujourd’hui incontestablement comme un succès. Succès dans l’affirmation d’une identité européenne qui reste toujours à consolider : partager la même monnaie a été et reste un puissant moteur pour se retrouver autour d’un destin commun. Succès pour faciliter la vie quotidienne des citoyens européens : voyager sans se soucier des taux de change, sans avoir besoin de courir au bureau de change puis de convertir la lire, deutschemark ou la peseta dans sa monnaie nationale. Succès pour stabiliser notre zone économique : sans coordination budgétaire entre ses pays membres, la monnaie unique a surmonté de nombreuses crises – crise de la dette, crise grecque, etc. – qui auraient pu précipiter sa fin. De sommets de la dernière chance en conseils d’urgence, les Etats de la zone euro ont toujours su se retrouver, parfois in extremis, en dépit de certaines divergences, notamment sur les critères de Maastricht. De fait, l’euro est aujourd’hui une monnaie solide et protectrice, on l’a vu lorsqu’il a fallu faire face aux conséquences économiques de l’épidémie de Covid.
En revanche, l’ambition géopolitique de l’euro n’a pas été réalisée. L’euro ne s’est pas imposé comme l’égal du dollar américain, que les Etats-Unis savent utiliser comme une arme lorsqu’ils imposent des sanctions et de lourdes amendes contre des entreprises étrangères, par exemple les sociétés européennes qui avaient investi en Iran et se sont retrouvées sous la menace de représailles américaines. L’euro ne peut rivaliser avec le dollar qui dispose des bons du Trésor américain, valeur refuge des investisseurs en cas de turbulences sur les marchés…
Vingt ans après l’arrivée de la monnaie unique, plus personne en tout cas n’envisage de faire machine arrière. En France, à trois mois de la présidentielle, aucun candidat n’évoque plus une telle perspective. 56 % des Français sont d’ailleurs opposés à sa suppression, 54 % contre un retour au franc et 74 % estiment que la monnaie unique est une bonne chose pour l’Union européenne.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 2 janvier 2022)