Cela aura été son avant-dernier combat avant d’engager celui, intime et personnel, contre la maladie qui le rongeait : n’oubliez pas les malades du cancer, avait ainsi lancé le professeur Axel Kahn, médecin généticien de renom qui fut président de la Ligue contre le cancer de juin 2019 à mai dernier. À plusieurs reprises, dès le printemps 2020, le scientifique avait tiré la sonnette d’alarme sur la « dangereuse dégradation » de la situation des patients atteints d’un cancer, dont la continuité des soins avait été empêchée par la pandémie de Covid-19 qui mobilisait tous les efforts, mais aussi sur l’interruption des dépistages systématiques des cancers du col de l’utérus, du sein ou encore de la prostate… « Nous estimons aujourd’hui qu’il y a environ 30 000 cancers non détectés, et donc autant de personnes non traitées », déplorait le professeur à l’automne 2020. « La crise de la Covid-19 ne doit pas faire oublier le cancer, un fléau qui touche près de 400 000 personnes chaque année », rappelait encore Axel Kahn en février 2021.
Et c’est vrai que le corps médical, comme la société tout entière, s’est focalisé – à raison évidemment – sur l’épidémie de coronavirus, reléguant au second plan les autres pathologies, et engageant lors des différentes vagues des déprogrammations d’opérations pour pouvoir accueillir les personnes infectées par le coronavirus – et notamment, hélas, des non-vaccinés qui auraient pu éviter une hospitalisation. Concentrés sur le Covid-19, les Français n’ont pas pu ou voulu faire les diagnostics qui sont, on le sait, si importants pour une bonne prise en charge.
Dès lors, la publication des résultats de l’étude épidémiologique KBP-2000, réalisée par le Collège des pneumologues des hôpitaux généraux (CPHG) depuis 2000, est particulièrement importante.
D’une part, alors que nous sommes toujours en pleine vague Omicron, elle permet de remettre sur le devant de la scène médiatique le cancer et rappeler le fléau qu’il représente. En s’intéressant au cancer du poumon, cette étude permet aussi de rappeler qu’il est responsable de 25 % des décès chez les hommes et 15 % chez les femmes derrière celui du sein. Enfin, cette étude permet d’alerter sur le fait que les femmes sont de plus en plus touchées : on est passé de 16 % en 2000 à 34 % en 2020 et même 41 % chez les moins de 50 ans… Cette étude permet ensuite de battre en brèche les clichés – le cancer du poumon ne frappe pas que les « gros fumeurs » – et donc souligne combien les campagnes de prévention contre le tabagisme sont plus que jamais importantes.
Face à cette situation inquiétante, il n’y a pas de fatalité car la recherche avance et redonne l’espoir aux patients. Des thérapies ciblées, personnalisées et efficaces sont désormais possibles et leur généralisation devrait, comme l’espère le professeur Julien Mazières que nous avons rencontré, « changer notre vision du cancer. »
(Editorial publié dans La Dépêche du dimanche 23 janvier 2022)