Dans un documentaire baptisé « Russie. Nouvelle histoire » diffusé sur la télévision publique russe mi-décembre à l’occasion des 30 ans de la chute de l’URSS, Vladimir Poutine a livré sa lecture de l’Histoire. Pour lui, l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 – qu’il avait qualifié de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle » – a constitué une « désintégration de la Russie historique ».
Depuis son accession au pouvoir après les années Eltsine minées par les oligarques, Poutine n’a donc eu de cesse de vouloir revenir à cette grande Russie et à l’influence qu’elle avait sur les affaires du monde à l’époque de la Guerre froide. Peu importe que la Russie n’ait plus les moyens d’autrefois, que la situation économique du pays, alourdie par les sanctions internationales, le classe à la 11e place en 2020 contre la 8e en 2013, qu’elle affiche un taux de pauvreté en hausse constante depuis dix ans à 13,1 % en 2021, que l’espérance de vie des Russes ait reculé à 70 ans, qu’un jeune sur deux, chez les 18-24 ans, veuille vivre à l’étranger et que le pays devrait perdre 15 millions d’habitants d’ici 2050.
Pour Vladimir Poutine, la priorité est de rétablir la sphère d’influence de la Russie et, pour ce faire, l’ancien espion du KGB joue sur la corde sensible du passé et de la nostalgie – muselant au passage toute opposition – en développant la vision paranoïaque d’un pays agressé, notamment par un Otan qui serait le principal danger. Cette volonté de retrouver la situation « bloc contre bloc » avec l’Occident a débouché sur une politique défensive qui a conduit à l’annexion de la Crimée en 2014, l’occupation de territoires dans d’anciennes républiques soviétiques (le Dombass en Ukraine et une partie de la Géorgie), le soutien à des dictatures comme celle de Loukachenko au Bélarus. Poutine a de plus élargi sa zone d’action en intervenant de plus en plus, directement ou indirectement, notamment en Afrique où s’est déployé le groupe Wagner.
Cette vision du monde se joue par ailleurs de façon aussi feutrée que redoutable au-delà du seul terrain militaire avec la déstabilisation des démocraties occidentales par une palette d’outils variés. Cyberattaques orchestrées en sous-main par des groupes de hackers, ingérence dans des campagnes électorales (aux Etats-Unis, en France, dans l’Union européenne), soutien d’hommes politiques étrangers ou développement de médias pro-russes.
Face à ces nouvelles guerres hybrides, asymétriques ou informationnelles, mêlant menaces militaires et actions d’influence numérique, les démocraties réagissent pour « gagner la guerre avant la guerre » selon l’expression du nouveau chef d’état-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard. La ministre des Armées, Florence Parly, a ainsi présenté fin octobre une nouvelle « doctrine militaire de lutte informatique d’influence ».
Mais au-delà de cet aspect opérationnel, il y a tout un travail diplomatique qui peut et doit être fait pour obtenir la désescalade et la baisse des tensions. À cet égard, si l’Union européenne est snobée par les Etats-Unis, la Russie et la Chine dans bien des dossiers, elle est la seule – parce qu’elle connaît le prix de la guerre et à condition de parler d’une seule voix – à même de porter la paix et de constituer des ponts entre tous.
(Editorial publié dans La Dépêche du jeudi 27 janvier 2022)