Accéder au contenu principal

Question d'éthique

 

dissection
Photo Pierre Challier

Un scandale est parfois nécessaire pour qu’éclate au grand jour une vérité jusqu’alors tue, fût-elle bien connue d’un grand nombre d’acteurs, et que de salutaires changements s’opèrent, des réformes trop longtemps repoussées ne voient enfin le jour. Celui qui a touché le Centre du don des corps de l’Université Paris-Descartes en novembre 2019, lorsqu’un charnier a été découvert en son sein, est incontestablement de ceux-là. Pendant des années – l’instruction judiciaire déterminera depuis quand – les corps de défunts qui avaient choisi de leur vivant de se donner à la science ont été maltraités. Plusieurs documents, notamment photographiques, ont montré que cette maltraitance était devenue au fil des ans normalisée, voire institutionnalisée, au mépris de toutes les exigences éthiques et juridiques, au mépris, surtout, de la dignité que l’on se fait du corps humain et du respect que l’on doit à tout homme, y compris après sa mort.

L’affaire a profondément choqué l’opinion publique, mais aussi une large part de la communauté médicale, car le don de corps à la science revêt une forte charge symbolique et le respect du corps un caractère sacré. Maltraiter le corps d’un homme ou d’une femme, lui manquer de respect constituait dès lors la trahison de la confiance mise par ces défunts et leurs familles dans l’institution médicale. La tache sur la réputation de l’Université Paris-Descartes a de plus rejailli sur tous les Centre du don des corps français – qui accueillent chaque année quelque 2 500 corps – tous désormais confrontés à la défiance voire à l’opprobre. Retrouver la confiance demandera du temps mais aussi des actes, à commencer par une réforme en profondeur des procédures, de nouvelles règles, une meilleure information et un meilleur accueil des familles avant, pendant et après les actes de dissection, et l’octroi de moyens financiers et humains suffisants pour mener à bien ces missions irremplaçables.

Car depuis la Renaissance et les découvertes de Leonard de Vinci, l’acquisition de connaissances médicales s’est faite historiquement grâce à la dissection de cadavres. Et aujourd’hui, en dépit des progrès considérables réalisés ces dernières années, la modélisation des corps en 3D, la réalité virtuelle et la simulation numérique restent insuffisantes pour un bon enseignement de la chirurgie et une recherche de qualité par rapport à un travail réalisé sur des corps morts. Travail indispensable mais qui a souvent suscité le rejet. 

« Qu’on sauve mes restes d’une sacrilège autopsie, qu’on s’épargne le soin de chercher dans mon cerveau glacé et dans mon cœur éteint le mystère de mon être. La mort ne révèle point les secrets de la vie », disait Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe. Mais la mort peut être au service de la vie. C’est le sens moral qu’attribuent à leur don ceux qui décident de confier leur corps à la médecine, un acte de générosité qui oblige dès lors tous ceux qui en sont les dépositaires à un devoir moral.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 1er novembre 2021)

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

Le prix de la sécurité

C’est l’une des professions les plus admirées et respectées des Français, celle que veulent exercer les petits garçons et aussi les petites filles quand ils seront grands, celle qui incarne au plus haut point le sens de l’intérêt général. Les pompiers, puisque c’est d’eux dont il s’agit, peuvent évidemment se réjouir de bénéficier d’une telle image positive dans l’opinion. Celle-ci les conforte et les porte au quotidien mais si elle est nécessaire, elle n’est plus suffisante pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, opérationnelles, humaines et financières. Opérationnelle d’abord car leurs missions ont profondément changé et s’exercent avec plus de contraintes. De l’urgence à intervenir pour sauver des vies – presque 9 opérations sur 10 – on est passé à des interventions qui ne nécessitent parfois même pas de gestes de secours et relèvent bien souvent davantage de la médecine de ville voire des services sociaux. C’est que les pompiers sont devenus l’ultime recour...

Principes et réalité

Seize mois après les manifestations historiques des agriculteurs, nées en Occitanie à l’hiver 2024 en dehors des organisations syndicales traditionnelles, voilà la colère paysanne de retour. Ce lundi, à l’appel notamment de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, et après de nombreuses actions ponctuelles ces dernières semaines, les tracteurs seront, en effet, à nouveau dans les rues pour dire l’exaspération des agriculteurs de voir les mesures promises si lentes à se mettre en place et pour rappeler l’urgence à agir aux députés, qui examinent ce lundi à l’Assemblée nationale une proposition de loi clivante lancée par le sénateur LR Laurent Duplomb. Ambitionnant de « lever les contraintes », ce texte, plébiscité par le monde agricole mais qui ulcère les défenseurs de l’environnement et les tenants d’un autre modèle agricole, propose entre autres de faciliter le stockage de l’eau, de simplifier l’extension des élevages, de réintroduire certains pesticides dont un néonicotinoïde qu...