"Le meilleur moyen de se délivrer de la tentation… c’est d’y céder". Emmanuel Macron avait-il en tête cette phrase d’Oscar Wilde lorsqu’il s’est présenté lundi soir devant les start-up de la French Tech ? En tout cas, devant un auditoire acquis d’avance, le président de la République, qui voulait faire de la France une start-up nation au début du quinquennat, n’y est pas allé de main morte pour répondre aux élus écologistes et de gauche – dont ses opposants Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot – qui ont réclamé dimanche un moratoire sur le déploiement en France de la 5G. "J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile ! Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine", a taclé le chef de l’État, faisant référence à cette communauté religieuse américaine hostile à la technologie et qui vit comme au XVIIIe siècle. Cette nouvelle petite phrase cinglante a sans surprise immédiatement fait réagir, suscitant tollé et tweets rageurs. Mais au-delà de cette pique provocatrice et très politique, dont on peut juger très maladroit le bien-fondé, Emmanuel Macron soulève une vraie question : le rapport des Français à la science et à la technologie et l’inquiétante défiance qui s’est installée.
C’est peu dire, en effet, que depuis plusieurs années, les polémiques sur l’environnement, la santé, les technologies et les sciences se sont multipliées et les discussions se sont tellement polarisées qu’on n’arrive plus à débattre sereinement de nombreuses questions comme les organismes génétiquement modifiés, les vaccins, les ondes électromagnétiques de la téléphonie mobile – dont la 5G – le compteur communicant Linky, le nucléaire et plus récemment encore les masques pour lutter contre le coronavirus. Là où il faudrait de la prudence, de l’écoute, de la nuance, on assiste à des affrontements, des arguments parfois spécieux, de vrais fake news voire des théories complotistes. Les scientifiques, qui doutent par essence, n’arrivent plus à se faire entendre dans le brouhaha des réseaux sociaux qui entretiennent l’entre-soi ou sur les plateaux des chaînes d’information en continu qui ne se nourrissent que de clashs entre pseudos experts toutologues… Idem pour les institutions dont la moindre parole est contestée… Chacun est désormais sommé de choisir son camp, et malheur à ceux qui voudraient faire la part des choses. La situation s’est par ailleurs d’autant plus complexifiée que le principe de précaution, une belle idée pourtant, s’est délité au point de devenir un principe de refus a priori pour les tenants d’un illusoire risque zéro.
Comment retrouver un peu de sérénité ? La question semble insoluble tant les positions sont tranchées et paraissent irréconciliables autour d’une position commune. Et pourtant, cette capacité à dégager un consensus, en tenant compte des connaissances et des risques sanitaires, est capitale si l’on ne veut pas que la France et l’Europe ratent les innovations qui vont façonner le siècle et voient leurs souverainetés dominées par d’autres…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 16 septembre 2020)