Souvent, l’urgence permet d’accomplir ce qu’on imaginait irréalisable. Il en va ainsi du télétravail. Chimérique pour nombre de chefs d’entreprise et parfois de directeurs des services informatiques, il s’est imposé comme LA solution permettant pour les sociétés du tertiaire de continuer leur activité durant le confinement. Un succès inattendu car la France accusait un vrai retard par rapport aux pays de l’Europe du Nord. La culture très ancrée du présentéisme, les craintes nombreuses qui entouraient le télétravail (manque de productivité, perte de confiance…) se sont avérées être des digues qui ont cédé. Auparavant seuls 7 % des Français pratiquaient le télétravail, ils étaient 33 % pendant le confinement. Et beaucoup de ceux qui y ont goûté – une écrasante majorité selon les enquêtes – veulent désormais poursuivre l’expérience. Mais cette révolution du télétravail, pour qu’elle soit profitable au plan économique, comme au plan sociétal, impose de conduire une vraie réflexion partagée par tous, de fixer un cadre réglementaire clair mais aussi d’avoir une stratégie numérique.
La réflexion devra déterminer les points positifs et les points négatifs en s’appuyant sur un retour d’expérience de ce qu’ont vécu salariés et managers. Faire le distinguo entre petites et grandes entreprises, apprécier le gain de temps gagné lorsqu’on ne va pas au bureau physiquement, mesurer aussi les difficultés de formation aux outils numériques, aider peut-être les salariés à avoir le bon matériel à domicile, etc.
Le cadre réglementaire, déjà assoupli en 2015, pourrait aussi évoluer ou en tout cas se préciser. Les syndicats et le patronat en discutent. Ce dernier – qui s’est peut-être rendu compte de l’inutilité de certains cadres intermédiaires – était très réticent mais semble désormais plus ouvert à la négociation sur le télétravail face à l’ampleur du phénomène de société.
Enfin, à côté de cette réflexion, il convient aussi d’avoir une vraie stratégie numérique et c’est peut-être là l’enjeu le plus difficile. Car le succès du télétravail n’a été possible qu’en utilisant des logiciels quasi exclusivement américains. Microsoft, Google, Facebook, Zoom… ont pulvérisé des records de fréquentation avec leurs outils. Ce qui pose d’évidents problèmes de souveraineté numérique et de confidentialité des données des entreprises et de l’Etat. La France et l’Europe – qui n’a pas su faire émerger de géants du numérique sur le Vieux continent – ont tout intérêt à favoriser le développement d’alternatives. Enfin, l’une des clés de cette révolution du télétravail réside dans la capacité d’avoir de bons réseaux de télécommunication, en ville comme dans les zones rurales afin que le télétravail soit accessible à tous, partout.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 8 septembre 2020)