Nous y voilà. Après une campagne électorale présidentielle totalement inédite, ennuyeuse pour les uns, passionnante pour les autres, tour à tour exaspérante ou inexistante, ballottée entre crise sanitaire et guerre en Ukraine, les Français sont appelés aux urnes ce dimanche pour départager 12 candidats et choisir deux d’entre eux qui s’affronteront dans 15 jours. Et si les sondages de ces derniers jours ont montré des dynamiques pour certains d’entre eux, rien n’est joué – certains électeurs décideront peut-être même dans l’isoloir à qui ira leur suffrage…
Au terme d’un quinquennat marqué par les crises sociales, politiques ou sanitaires, dans un mode où les certitudes sont remises en question – et au premier chef l’idée même de démocratie et de paix – on aurait pu penser que les Français soient impatients de voter, de donner leur avis, de faire librement leur choix. Las, les voilà gagnés par une sinistrose qui étonne nos voisins européens. Un sondage Odoxa paru cette semaine montre ainsi que le moral économique des Français s’effondre comme jamais à l’occasion d’une présidentielle : 77 % sont défiants envers l’avenir, un record alors que, jusqu’à présent, chaque présidentielle voyait au contraire monter en flèche notre indice de moral. Les Français sont pessimistes au point que certains vont une nouvelle fois bouder les urnes, peut-être même avec une abstention historique, estimant ici que le vote ne sert à rien, là que personne ne représente leurs idées, ou encore que rien ne changera après cette présidentielle.
De bien mauvaises raisons, de sinistres prétextes. « Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même », estimait Montalembert. Et de fait, les programmes des 12 candidats sont tous profondément, radicalement singuliers. Les mesures qu’ils proposent dans tous les domaines – économie, santé, sécurité, éducation, agriculture, écologie… – peuvent façonner la société française de façon très différente entre le rabougrissement ou l’ouverture, le respect de l’État de droit ou sa remise en cause. Chacun peut et doit s’exprimer sur la direction qu’il estime être la bonne pour soi et pour le pays. C’est le sens du suffrage universel qu’en 1850 Victor Hugo défendait ainsi passionnément : « Sur cette terre d’égalité et de liberté, tous les hommes respirent le même air et le même droit. II y a dans l’année un jour où celui qui vous obéit se voit votre pareil, où celui qui vous sert se voit votre égal, où chaque citoyen, entrant dans la balance universelle, sent et constate la pesanteur spécifique du droit de cité, et où le plus petit fait équilibre au plus grand. Il y a un jour dans l’année où le plus imperceptible citoyen, où l’atome social participe à la vie immense du pays tout entier, où la plus étroite poitrine se dilate à l’air vaste des affaires publiques ; un jour où le plus faible sent en lui la grandeur de la souveraineté nationale, où le plus humble sent en lui l’âme de la patrie ! »
Aujourd’hui cette responsabilité personnelle et collective, intime et historique, nous appelle à voter massivement.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 10 avril 2022)