« Il n’y a rien dans le monde qui n’ait son moment décisif, et le chef-d’œuvre de la bonne conduite est de connaître et de prendre ce moment. » Le grand photographe Henri Cartier-Bresson avait mis en exergue cette citation du cardinal de Retz dans son livre publié en 1952 et fait sa marque de cet « instant décisif », ce moment bref, assurément éphémère, qui peut déboucher sur une rupture, une profonde bascule. Mais où tout ce qui le précède, le suspense d’avant l’événement, porte des signaux d’alerte pour peu qu’on y soit attentif.
En politique, chaque élection, et plus encore l’élection présidentielle, clef de voûte de nos institutions, a aussi son instant décisif : le moment du vote, du choix. Un choix décisif que vont faire ce dimanche 48,7 millions d’électeurs appelés aux urnes pour déterminer qui d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen doit devenir chef de l’État pour les cinq ans qui viennent. Pour la troisième fois en vingt ans, un front républicain veut éclairer ce choix décisif que le pays va faire, car la possibilité d’une rupture avec les valeurs démocratiques qui fondent la République, d’une bascule vers l’inconnu, la division et le chaos est toujours là. Par lassitude de revivre la même configuration qu’en 2002 et 2017, par refus de devoir choisir par rejet plutôt que par adhésion, par la certitude que, finalement, cette bascule est impossible, par colère contre un système où ils se sentent mal ou pas représentés, ou encore par déception vis-à-vis de leur famille politique éliminée au premier tour, de nombreux électeurs vont décider de ne pas voter ou de voter blanc ou nul.
Un non-choix risqué car une bascule reste pourtant bien possible : qui imaginait l’élection de Trump ? Qui imaginait le vote en faveur du Brexit d’une Grande Bretagne pourtant si proche et pleinement actrice de l’Union européenne ? Les Français qui votent aujourd’hui doivent penser à ces instants décisifs et à leurs conséquences, à la responsabilité qu’ils prennent pour l’avenir du pays mais aussi vis-à-vis de nos partenaires et de nos alliés qui comptent sur la France.
Le choix décisif de ce dimanche, qui ne saurait être un blanc-seing pour le vainqueur, devra aussi déboucher sur des décisions ambitieuses pour rénover notre vie démocratique. Peut-on se satisfaire de tels taux d’abstention ? La démocratie ne s’use que si l’on ne s’en sert pas : il est temps de proposer un nouveau cadre, de nouvelles règles institutionnels. Pour réenchanter la politique et redonner aux Français l’envie de s’engager dans les affaires de la cité, les pistes ne manquent pas, entre la proportionnelle, le retour au septennat, le vote obligatoire, le référendum d’initiative citoyenne, la démocratie participative, une nouvelle étape de la décentralisation…
« Une république n’est point fondée sur la vertu ; elle l’est sur l’ambition de chaque citoyen, qui contient l’ambition des autres » disait Voltaire. Ce dimanche, la République nous appelle. Soyons au rendez-vous et soyons ambitieux.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 24 avril 2022)