© Guillaume Serpault / Aéroport Toulouse-Blagnac |
En renonçant à vendre les 10,01 % des parts de la société gestionnaire de l'aéroport de Toulouse-Blagnac à Casil Europe – le consortium chinois à qui il avait déjà cédé 49,99 % de ses parts il y a trois ans –, l'État français donne-t-il un signal ? En écartant toute privatisation pour l'aéroport toulousain, 5e plateforme aéroportuaire du pays, le gouvernement livre-t-il une clé de compréhension de sa politique industrielle à venir ? En tout cas cette décision, qui réjouit bien sûr les acteurs institutionnels publics de la région, montre que, face aux appétits étrangers (ou privés) pour les fleurons publics français et aux chantres du libéralisme le plus débridé, d'autres voies sont possibles.
L'épilogue toulousain remet aussi sur le devant de la scène deux sujets brûlants : d'une part la préservation des actifs stratégiques de la France ; et d'autre part le comportement que doit adopter l'État actionaire. Doit-il être fortement impliqué ou simple régulateur ? Concernant les secteurs stratégiques où les investissements étrangers sont soumis à autorisation ministérielle, et que les ultralibéraux rêvent de voir réduits à la portion congrue, des avancées avaient été faites en 2014. Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif et chantre du «made in France», avait sensiblement élargi le champ d'application de la réglementation en l'étendant à de nouveaux secteurs comme l'eau, l'énergie, les communications électroniques, la santé publique et aussi les transports. Sur ces activités, l'État a un logique droit de regard, qui pourrait d'ailleurs encore s'élargir. Lors du salon de l'Agriculture, Emmanuel Macron n'a-t-il pas assuré au monde pays an que les terres agricoles sont « un investissement stratégique dont dépend notre souveraineté » ? Alors même que le groupe chinois Hongyan venait d'acquérir plusieurs centaines d'hectares dans l'Indre et dans l'Allier !
Conscient de l'extrême sensibilité de l'opinion sur ces questions de souveraineté économique et des polémiques politiques qui peuvent en découler, le chef de l'État semble avoir évolué. Celui que ses contempteurs dépeignent souvent comme le Président de la «mondialisation heureuse» avait déjà nuancé sa vision lors du sommet de Davos. Devant un parterre de grands patrons de multinationales, il avait estimé qu'« il faut redonner un sens à la mondialisation. »
Et le Président français de réclamer alors un « nouveau contrat mondial » destiné à « partager, investir et protéger ». Partisan du libre-échange plutôt que du protectionnisme illusoire d'un Donald Trump, Emmanuel Macron entend ainsi dessiner les contours de ce qu'il avait déjà esquissé lorsqu'il était à Bercy : créer un « État stratège » et un « État actionnaire fort » qui privilégie les participations dans les entreprises stratégiques, et regarde, au cas par cas, ses autres participations, dont la gestion est régulièrement critiquée par la Cour des comptes. C'est sur ce chemin de crête qu'Emmanuel Macron entend développer ce que l'on pourrait appeler un nouveau colbertisme.
(Editorial publié dans La Dépêche du mercredi 28 février 2018)