La loi asile et immigration peut-elle être à Emmanuel Macron ce que la déchéance de nationalité a été à François Hollande ? À savoir un texte qui touche à la corde sensible de notre identité nationale et de l'idée que l'on se fait des valeurs fondamentales de la République, notamment la fraternité de sa devise. Un texte de nature à fracturer une majorité présidentielle et donner du grain à moudre à des oppositions laminées par la présidentielle et encore bien convalescentes. On n'en est bien sûr pas encore là, loin s'en faut. Mais pour la première fois depuis le début du quinquennat, le groupe majoritaire de la République en marche à l'Assemblée nationale, habituellement monolithique et très discipliné dans ses votes, affiche des sensibilités différentes, voire de francs désaccords qui dépassent désormais le stade des états d'âme. On a d'ailleurs vu ces désaccords s'exprimer lors de la discussion, la semaine dernière, d'un texte sur le statut des réfugiés dits «dublinés».
Depuis plusieurs jours une centaine de députés LREM sont montés au créneau pour dire leur malaise sur le projet de loi asile et immigration que va présenter mercredi prochain le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb. Pour ces parlementaires, essentiellement issus des rangs du Parti socialiste mais pas seulement, les mesures proposées vont dans un sens trop sécuritaire, par exemple dans le contrôle des centres d'hébergement d'urgence que même Nicolas Sarkozy n'avait pas mis en place. Pour ces députés marcheurs, le texte de l'ancien maire de Lyon, issu de l'aile droite du PS, n'est pas assez équilibré entre l'humanité et la fermeté selon la formule consacrée. De la célèbre phrase de Michel Rocard, il n'en retiendrait qu'une partie – «La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde» – en en oubliant la fin «mais elle doit en prendre sa part…». Car, de fait, les chiffres montrent que le pays des droits de l'homme est l'un de ceux de l'Union européenne qui accueillent le moins de demandeurs d'asile rapporté à leur nombre d'habitants : 1 pour 1 340 Français…
En attendant les débats au Parlement, Emmanuel Macron va devoir préciser sa vision de la politique migratoire qu'il souhaite pour la France. Car d'évidence une (nouvelle) clarification de sa part s'impose tant sur le fond que sur la forme.
Sur le fond, le Président doit répondre aux légitimes inquiétudes des associations, des intellectuels, des parlementaires de sa majorité, des simples citoyens inquiets du sort réservés aux réfugiés sur notre sol et qui se demandent si les félicitations qu'Emmanuel Macron adressait naguère à Angela Merkel pour sa décision d'accueillir les réfugiés ou son appréciation «les réfugiés sont une force, ce sont des héros» sont toujours valables ou n'étaient que pure rhétorique…
Sur la forme, le chef de l'État doit rapidement apaiser sa majorité. Même s'il déteste que l'on parle de «jambe droite» et de «jambe gauche» pour décrypter sa politique, il doit donner des gages à cette aile gauche de la République en marche. Nul doute que l'ancien secrétaire général adjoint de l'Élysée, qui a vu de l'intérieur les ravages des frondeurs sur le quinquennat Hollande, fera tout pour éviter un tel scénario : un clivage droite-gauche au sein de la formation politique qui a bâti ses succès sur le ni droite ni gauche…
(Edito publié dans La Dépêche du Midi du lundi 19 février 2018)