Accéder au contenu principal

Procès Jubillar : rendre justice

justice


La disparition de Delphine Jubillar, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 à Cagnac-les-Mines, a depuis longtemps dépassé le cadre d’un tragique fait divers pour devenir un phénomène de société qui arrive ce lundi devant la cour d’assises du Tarn pour le procès hors normes du mari, Cédric, poursuivi pour un meurtre sans cadavre et qui a toujours nié avoir tué son épouse. Si l’affaire Jubillar fascine à ce point les Français plus que n’importe quelle autre, c’est sans doute parce que son cadre de départ, banal, nous la rend très proche : un couple qui bat de l’aile, des problèmes financiers, un divorce compliqué, un amant. Une vie comme tant d’autres mais qui bascule dans le drame.

Le mystère autour de la disparition de la jeune infirmière solaire, mère de deux enfants, les nombreux rebondissements qui ont émaillé l’affaire ces quatre ans et demi, les personnages qui sont apparus au fil des mois, du co-détenu à la nouvelle petite amie… tout était réuni pour captiver, chacun attendant impatiemment comme les épisodes d’une série Netflix. La résonance qu’a eue l’affaire sur les réseaux sociaux, l’empressement de certains médias à se jeter sans réserves – et parfois sans prudence – sur le moindre élément, au mépris souvent de la douleur de la famille de Delphine ou de la présomption d’innocence de Cédric ont parachevé la transformation du dossier Jubillar en une grande affaire judiciaire française.

Ce lundi, c’est pourtant un autre chapitre qui s’ouvre et au vibrionnant temps médiatique qui a accompagné l’enquête va s’imposer le temps judiciaire d’un procès essentiel, fait de rigueur, de pondération, de lenteur et, surtout, de respect du droit et de la procédure pénale. Le procès Jubillar peut d’ailleurs être l’occasion pour les Français de mieux comprendre le fonctionnement d’une justice qu’ils critiquent souvent sans rien savoir de sa complexe mécanique – sauf lorsqu’ils s’y trouvent personnellement confrontés.

Il est vrai que ces derniers mois, on a vu un ministre de l’Intérieur estimer que l’État de droit n’était pas intangible, on a vu des magistrats pris à partie pour des décisions qu’ils ont rendu en droit en résistant courageusement à la pression médiatique ou politique ou aux intimidations de lobbies particulièrement actifs et puissants, on a vu certaines chaînes d’opinion fustiger à longueur d’antenne une justice prétendument laxiste… Tous ceux-là, qui finalement méprisent le travail et la mobilisation sans faille des magistrats du siège et du parquet, des greffiers, des policiers ou des gendarmes, n’ont sans doute jamais assisté à une simple audience correctionnelle, encore moins à un procès d’assises.

C’est pour cela que le procès Jubillar est, aussi, important. Outre la vérité qu’il va essayer de faire émerger pour comprendre ce qui s’est passé, outre les réponses qu’il va essayer d’apporter pour déterminer ce qui est arrivé à Delphine il y a bientôt cinq ans, il va rappeler à tous ce que rendre justice veut dire. La foule – qui appelle parfois à une aveugle vengeance – n’est pas le peuple, disait Victor Hugo. Et c’est bien au nom du peuple français que le tribunal d’Albi – après que les jurés ont entendu plus de soixante témoins et se sont forgé leur intime conviction – rendra sa décision le mois prochain.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 22 septembre 2025)


Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Principes et réalité

Seize mois après les manifestations historiques des agriculteurs, nées en Occitanie à l’hiver 2024 en dehors des organisations syndicales traditionnelles, voilà la colère paysanne de retour. Ce lundi, à l’appel notamment de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, et après de nombreuses actions ponctuelles ces dernières semaines, les tracteurs seront, en effet, à nouveau dans les rues pour dire l’exaspération des agriculteurs de voir les mesures promises si lentes à se mettre en place et pour rappeler l’urgence à agir aux députés, qui examinent ce lundi à l’Assemblée nationale une proposition de loi clivante lancée par le sénateur LR Laurent Duplomb. Ambitionnant de « lever les contraintes », ce texte, plébiscité par le monde agricole mais qui ulcère les défenseurs de l’environnement et les tenants d’un autre modèle agricole, propose entre autres de faciliter le stockage de l’eau, de simplifier l’extension des élevages, de réintroduire certains pesticides dont un néonicotinoïde qu...