Après la censure du gouvernement de Michel Barnier, le plus bref de la Ve République – 91 jours ! – la nomination à Matignon de François Bayrou apparaissait comme plus solide que celle de l’ex-négociateur de l’Union européenne pour le Brexit. Les deux hommes ont certes le même âge, sont de la même génération et ont même appartenu aux Rénovateurs de la droite et du centre dans les années 90. Mais là où la nomination du LR Michel Barnier était le fruit d’un fragile compromis entre les partis présidentiels et Les Républicains qui faisait pencher bien trop à droite le gouvernement, celle de François Bayrou semblait ramener le barycentre gouvernemental davantage vers le centre, et donc à même de nouer plus facilement un dialogue avec la gauche de l’hémicycle.
Le maire de Pau, principal allié d’Emmanuel Macron qui lui doit une large part de sa victoire en 2017, paraissait d’ailleurs se préparer depuis des années à Matignon, mettant en avant ses compétences et son expérience politiques à chaque remaniement, en vain jusqu’à présent. Face aux tergiversations et à la procrastination du Président, Bayrou semblait même avoir, cette fois, tapé du poing sur la table et forcé son destin en tordant le bras au Président pour obtenir enfin Matignon. Centriste devenu central, il passait finalement pour être le seul capable de se faire entendre de la tumultueuse Assemblée, dialoguer avec le RN tout en le tenant à distance, négocier la bienveillance d’une partie de la gauche et dominer les ambitions des Attal, Wauquiez et consorts.
On allait donc voir ce qu’on allait voir… Et puis on a vu… On a vu un Premier ministre préférer aller en jet assister à un conseil municipal de sa ville plutôt que de se rendre à la réunion de crise sur Mayotte dévastée par un cyclone ; on a vu un Premier ministre mal à l’aise pour répondre seul aux questions des députés. Erreur de communication ? Voire. On a vu surtout un François Bayrou incapable d’envoyer des signaux vers la gauche sur la très contestée réforme des retraites là où les socialistes proposaient de renoncer à l’abrogation pure et simple pour un gel et la recherche d’autres pistes de financements. Même la taxation des superdividendes, pourtant portée par ses troupes dans la précédente législature et qui pouvait constituer un pont avec la gauche, semblait ne plus plaire à François Bayrou.
À peine la constitution du gouvernement de « poids lourds » connue, on a aussi vu combien cette idée-là – des politiques madrés connus des Français – pouvait se retourner contre son initiateur, désormais pris en étau entre les débuts peu glorieux d’Elisabeth Borne à Mayotte et la rivalité grandissante des ambitieux Retailleau et Darmanin qui entendent bien jouer leur partition personnelle sans trop se préoccuper de solidarité gouvernementale.
Si l’on ajoute la « surveillance » qu’exerce toujours le RN – qui est parvenu à évincer Xavier Bertrand – et la volonté d’Emmanuel Macron de vouloir encore peser sur la législature en recourant à des référendums sur différents sujets – sans préciser lesquels – on peut légitimement se demander comment François Bayrou, lesté de tous ces handicaps va trouver la voie de passage pour gravir son Himalaya budgétaire et éviter une nouvelle censure.
À moins que ce premier de cordée pose un acte d’autorité et retrouve sa voix singulière. Réponse lors de son discours de politique générale le 14 janvier.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 3 janvier 2025)