Ne demandez pas à Laurent Wauquiez, Gabriel Attal ou Jean-Luc Mélenchon s’ils pensent à la présidentielle en se rasant le matin ou si Marine Le Pen fait de même en se maquillant, la question, jadis posée à Nicolas Sarkozy lorsqu’il était vibrionnant ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, est aujourd’hui totalement superflue. Car les ténors politiques – même les plus improbables – ne pensent déjà qu’à la prochaine élection présidentielle, qu’elle se déroule dans le calendrier prévu en 2027 ou qu’elle soit anticipée si par extraordinaire Emmanuel Macron décidait de démissionner – ce qu’il a assuré ne pas vouloir faire.
Depuis l’élection du président de la République au suffrage universel direct, décidée par référendum en 1962 par la volonté du général De Gaulle, et plus encore depuis le passage en 2000 du septennat au quinquennat avec l’inversion du calendrier – législatives en second – l’élection présidentielle est devenue l’élection qui commande tout, la clé de voûte de la vie politique. Au point que les élections locales – municipales, cantonales et régionales – se sont transformées en élections intermédiaires – sortes de Midterm américaines – dont les résultats sont analysés à l’aune du soutien ou du rejet de l’hôte de l’Elysée qu’elles signifieraient. Si l’on ajoute l’extrême centralisation et la verticalité de l’exercice du pouvoir, on obtient une démocratie française dominée, écrasée par l’élection suprême.
La dissolution-surprise de l’été dernier aurait pu changer la donne en permettant à la France de renouer avec un parlementarisme qui est la norme chez nos voisins. Las ! Dans une Assemblée il est vrai éclatée en trois blocs qui ne veulent pas se parler, ce sont davantage les ambitions présidentielles à plusieurs bandes des ténors qui pèsent, davantage que la recherche exigeante et complexe d’une coalition gouvernementale au service désintéressé de l’intérêt général. Les négociations tortueuses pour constituer les gouvernements Barnier puis Bayrou l’ont parfaitement montré, certains ministres étant choisis ou évincés en fonction des stratégies cryptiques des présidentiables en puissance.
Les Français en ont d’ailleurs pris acte et beaucoup ne votent plus que pour la présidentielle, attendant qu’un homme providentiel apparaisse pour régler tout seul les problèmes du pays… avant de le vouer aux gémonies quelques mois après son élection en constatant qu’il ne peut évidemment pas tout.
À cheval entre un régime présidentiel à l’américaine, tempéré par un Congrès puissant, et un régime parlementaire entravé par la seule volonté du Président qui chapeaute tout, la France peine parfois à avancer au point que certains appellent à passer de la plastique et robuste Ve République à une VIe République plus moderne. Le passage au scrutin proportionnel pourrait-il être la clé ? François Bayrou et d’autres de tous bords en sont convaincus. Mais cela supposerait de nouer des alliances avant les élections sur un programme clair et de sortir des ambitions personnelles et de cette indépassable obsession présidentielle.
(Editorial publié dans La Dépêche du Dimanche du 5 janvier 2025)