Accéder au contenu principal

« L’oscillation au bord de l’abîme »

 

Zemmour

En parler ou pas ? Pour la classe politique, de gauche à droite, pour la majorité présidentielle, pour les rédactions des médias nationaux ou régionaux, la question du traitement d’Eric Zemmour depuis qu’il grimpe dans les sondages d’intentions de vote à l’élection présidentielle constitue autant un casse-tête qu’un cas de conscience.

En parler, c’est forcément alimenter la machine à polémiques et à clash, aux outrances et aux buzz sans limite savamment entretenue par le polémiste d’extrême droite, qui se complaît dans le confortable rôle du candidat pas encore déclaré ; et donc faire de lui l’épicentre de la campagne qui démarre.

Ne pas en parler, c’est laisser se banaliser une kyrielle de contrevérités, d’approximations, de propos révisionnistes abjects, de mensonges et de provocations permanentes proférés par un bateleur habile, condamné pour incitation à la haine et qui, qu’on le veuille ou non, séduit une part de l’électorat français.

Entre ces deux choix cornéliens – les mêmes d’ailleurs qui se sont posés aux Etats-Unis en 2016 lorsque Donald Trump a affiché des ambitions politiques qui l’ont conduit à la Maison blanche – il convient de tracer une troisième voie pour traiter le cas Zemmour : déconstruire systématiquement son discours radicalisé et ses provocations, pour en souligner le danger pour la démocratie et la République ;  en se rappelant ce que disait Albert Camus, « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

De fait, aux sorties réactionnaires et démagogiques d’Eric Zemmour sur la peine de mort, la laïcité ou l’Europe, le respect de l’Etat de droit et le Conseil constitutionnel, les musulmans et les immigrés, les femmes et les homosexuels, l’affaire Dreyfus et Pétain protecteur des Juifs (sic), le permis à point ou les prénoms étrangers, on doit opposer la réalité historique, des faits vérifiables et/ou l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures-chocs simplistes qu’il égrène. La tâche est évidemment immense car comme Trump – les millions en moins, un vernis intellectuel maurrassien en plus – Zemmour se contrefiche de la réalité. On l’a d’ailleurs vu lors du débat l’opposant à Jean-Luc Melenchon : lorsqu’une journaliste lui a fait remarquer qu’il s’était trompé en affirmant sans preuves qu’il y avait 50 milliards d’euros de fraude sociale par an et non un selon le calcul étayé de la Cour des comptes, Eric Zemmour, agacé, avait lancé « votre chiffre est tellement ridicule, que le ridicule est pour vous... »

Grisé par son succès littéraire, son omniprésence médiatique, particulièrement sur les médias du groupe Bolloré, la zizanie qu’il provoque dans la classe politique ou l’affluence à ses dédicaces, le pas-encore-candidat a, d’évidence, basculé dans une réalité alternative, perméable aux complotismes et aux obsessions identitaires nationales-populistes. Éric Zemmour se nourrit de la crise démocratique que traverse le pays sans y apporter la moindre réponse autre que la stratégie du chaos. Le 30 juillet 1914, Jean Jaurès écrivait dans La Dépêche, son avant-dernier article « L’oscillation au bord de l’abîme » appelant au sursaut pour éviter, en vain, la guerre. Aujourd’hui, c’est bien d’un sursaut collectif dont nous avons besoin pour éviter l’abîme du zemmourisme.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 31 octobre 2021)

Posts les plus consultés de ce blog

Se préparer

Voilà un type de courbe que l’on n’avait pas vu depuis longtemps concernant le Covid-19 : une hausse, celle du nouveau variant du coronavirus EG.5. Baptisé Eris, ce cousin d’Omicron croît de façon vertigineuse dans le séquençage de cas positifs au Covid-19 en France comme dans d’autres pays. Beaucoup plus contagieux que ses prédécesseurs, Eris pourrait ainsi s’imposer et devenir majoritaire. Au point de relancer une pandémie mondiale que nous pensions derrière nous ? Nous n’en sommes évidemment pas là, mais l’apparition de ce nouveau variant, tout comme la possibilité de voir survenir des clusters de contamination comme cela vient de se produire aux fêtes de Bayonne, nous interroge légitimement. Même si la couverture vaccinale est bonne en France, la crainte de devoir revivre les conséquences sanitaires et socio-économiques d’un retour de la pandémie est bien dans les esprits. Peut-être aurions-nous dû écouter plus attentivement les spécialistes comme le directeur général de l’Organisa

Moine-soldat

Dans le marathon de l’examen de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale, le calendrier a marqué une pause ce jeudi à l’occasion de la niche parlementaire du Parti socialiste. Une pause mise à profit par le gouvernement pour aller sur le terrain défendre une réforme toujours massivement rejetée par 7 Français sur 10. À l’avant-veille de la quatrième journée de manifestation appelée par l’intersyndicale, Elisabeth Borne et Gérald Darmanin se sont ainsi rendus hier à Neuville-en-Ferrain, dans le Nord, Olivier Dussopt à Toulouse, où il a notamment rencontré six lecteurs de La Dépêche du Midi au siège de notre journal pour répondre à leurs questions et leurs inquiétudes. Celui qui enchaîne à un rythme soutenu les interviews dans les matinales et défend depuis lundi son texte devant une Assemblée nationale survoltée s’est montré tel qu’en lui-même : un moine-soldat de la macronie. Moine, parce que le ministre connaît sur le bout des doigts le catéchisme de la réforme, son dogme du r

L'indécence et la dignité

C’est sans doute parce qu’elle avait le souriant visage de l’enfance, cheveux blonds et yeux bleus, parce qu’elle aurait pu être notre fille ou notre nièce, notre petite sœur ou notre cousine, une camarade ou la petite voisine. C’est pour toutes ces raisons que le meurtre barbare de la petite Lola a ému à ce point la France. Voir le destin tragique de cette bientôt adolescente qui avait la vie devant elle basculer à 12 ans dans l’horreur inimaginable d’un crime gratuit a soulevé le cœur de chacune et chacun d’entre nous. Et nous avons tous pensé à ses parents, à sa famille, à ses proches, à ses camarades de classe, à leur incommensurable douleur que notre solidarité bienveillante réconfortera mais n’éteindra pas. Tous ? Non, hélas. Dans les heures qui ont suivi le drame, certains ont instrumentalisé de façon odieuse la mort de cette enfant pour une basse récupération politique au prétexte que la suspecte du meurtre était de nationalité étrangère et visée par une obligation de quitter l