« Mal nommer les choses c'est participer au malheur du monde », disait Albert Camus. Alors disons-le tout net : le nouveau système Parcoursup, qui remplace la si décriée Admission post-bac, introduit bel et bien une sélection à l'entrée de l'Université. Le gouvernement, avec des pudeurs de gazelle, a beau parler de « prérequis » ou d'« attendus » pour éviter d'avoir à employer le mot tabou qui a jeté par le passé des milliers d'étudiants dans les rues, notamment lors de la loi Devaquet en 1986, c'est une forme de sélection qui est désormais mise en œuvre avec le nouveau système.
Pour autant, la sélection après le bac n'est pas nouvelle et existe déjà depuis longtemps sans que cela ne suscite ni débats ni critiques : entrée dans les classes préparatoires scientifiques ou littéraires, dans les écoles de commerces ou d'ingénieurs, admission dans les Instituts universitaires de technologie (IUT) ou ceux d'études politiques (Sciences Po), inscription dans tel ou tel Brevet de technicien supérieur (BTS), etc. Les lycéens se plient sans contestation à une sélection en bonne et due forme en fournissant un dossier scolaire dont le baccalauréat est, certes, toujours la condition nécessaire mais pas suffisante.
On pourrait même considérer que le premier cycle à l'Université pratique, depuis des années là aussi, une sélection qui ne dit pas son nom avec un sévère écrémage puisque 40 % seulement des nouveaux étudiants sont admis en seconde année. Et, depuis 2016, la poursuite des études en master se fait… après une sélection.
En choisissant de mettre en avant des « attendus » à même de sélectionner les étudiants, le gouvernement assure donc agir par pragmatisme pour, d'une part, gérer l'afflux des lycéens vers les études supérieures que les universités, en manque chronique de moyens, peinent à absorber, et d'autre part pour faire en sorte que l'Université française remonte dans les classements internationaux.
Le nouveau système veut aussi en finir avec une hypocrisie de plusieurs années, qui, par exemple, a conduit, bug informatique aidant, à des aberrations comme celles que l'on a vues en 2017, année où des bacheliers avec mention très bien ont été écartés de la filière universitaire qu'ils avaient choisie en raison du système inique du tirage au sort…
Si la finalité est louable, en imposant si rapidement les « attendus » dans la loi « Orientation et Réussite des Étudiants » promulguée jeudi dernier par Emmanuel Macron, l'exécutif a brusqué la communauté éducative. Le Conseil supérieur de l'Éducation n'a d'ailleurs pas donné une voix en faveur du décret instaurant Parcoursup lorsqu'il l'a examiné la semaine dernière, et des organisations syndicales ont appelé à une mobilisation les 15 et 22 mars. C'est que la loi touche à un aspect essentiel de l'Université française : le principe de libre accès. Et ouvre en suivant le risque de voir s'étioler le caractère national des diplômes si chaque université en vient à fixer, en toute autonomie, ses critères d'entrée… De la préservation de ces deux aspects dépendra une bonne part du succès de la réforme.
(Editorial publié dans La Dépêche du mardi 13 mars 2018)