La Cérémonie 2018 des César du cinéma français qui s'est tenue hier à Paris a bien sûr célébré les films et les acteurs talentueux de l'année. Surtout, elle a rappelé combien la France cultive jalousement son exception culturelle dont la bonne santé du cinéma français en est un bel exemple. Qu'elle concerne justement le cinéma, la télévision ou le théâtre, cette exception, dont l'origine remonte à la création du ministère de la Culture par André Malraux en 1959, assez unique dans le monde, n'en finit pas de faire parler d'elle. Admirée souvent, critiquée et incomprise parfois lorsqu'elle est assimilée à de banales mesures protectionnistes. Et si d'aucuns l'ont maintes fois annoncée morte – on se souvient de la Une de l'hebdomadaire américain Time Magazine proclamant en décembre 2007 « The death of french culture » (la mort de la culture française) illustrée d'un sosie du mime Marceau –, force est de constater qu'elle est toujours bel et bien présente. Il n'y a pas si longtemps, en 2013, La France avait conduit une bataille homérique pour rallier à sa cause d'autres pays en Europe afin d'extraire la culture des négociations commerciales entre l'Europe et les États-Unis.
Car, cette exception culturelle n'est pas qu'un concept à visée économique, elle est aussi un outil de résistance contre l'uniformité et pour la diversité. Appliquée au cinéma, l'exception culturelle permet de voir des chaînes de télévision financer des films ; et le Centre national de la cinématographie (CNC) utiliser la manne remportée par les films à succès pour aider des films d'auteur ou des premiers films. Bref, donner leur chance à des artistes français – et étrangers aussi – qui seront peut-être les grands de demain.
Avec un tel système solidaire, le cinéma français peut ainsi tenir tête au rouleau compresseur américain si bien huilé, en affichant des taux d'entrées pour les films nationaux plutôt inédits par rapport à ceux de nos voisins européens. C'est cette résistance culturelle que le chercheur Frédéric Martel avait mise en lumière dans son ouvrage « Mainstream » sur la culture américaine. « On assiste partout à un triple phénomène : la domination du modèle américain, l'émergence de grands pôles culturels destinés aux publics locaux (Bollywood en Inde, Chine), et la disparition dans la plupart des pays d'une autre culture », déclarait-il.
Défendre notre culture et les valeurs qui la sous-tendent, c'est aussi défendre les supports qui la diffusent. À l'heure des plateformes numériques pour les films comme Netflix, la musique et dans une moindre mesure les livres et la presse, l'Europe doit avancer. Face aux mastodontes du net américains ou chinois qui gèrent ses plateformes, l'Union européenne doit favoriser la constitution de géants sur le Vieux Continent pour mieux diffuser notre culture, nos idées. Autrement dit muscler notre soft power. À l'heure des fake news et de la montée des populismes, l'exception culturelle est plus nécessaire que jamais.
(Editorial publié dans La Dépêche du samedi 3 mars 2018)