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Le poison qui venait du froid



En découvrant l'histoire de la tentative d'assassinat de l'ancien agent double russe Sergueï Skripal et de sa fille, on est partagé entre l'effroi et la fascination. L'effroi devant la méthode employée : la projection d'un produit chimique innervant mortel, le Novitchok, conçu en URSS dans les années 70-80, sur le père et la fille, en pleine rue. Et, en même temps, une fascination un peu coupable devant un récit qui rappelle ceux qu'ont vécus les espions au temps de la Guerre froide entre Soviétiques et Occidentaux, jusqu'à l'effondrement de l'URSS en 1991. Car les faits et leur contexte sont dignes d'un roman de John Le Carré ou d'un film de Steven Spielberg dans lesquels on élimine les agents gênants à coups de parapluies bulgares ou d'accidents domestiques fortuits…

Côté pile, un ancien agent double passé à l'Ouest il y a des années lors d'un échange, serait rattrapé par la vengeance de son pays d'origine, aujourd'hui dirigé par Vladimir Poutine, ancien colonel du KGB. Un président Poutine qui, de plus, est actuellement candidat pour un nouveau mandat à la tête de la Russie qu'il mène à la baguette, avec des méthodes expéditives pour museler toute opposition; et qui a récemment annoncé son ambition de développer de nouveaux programmes d'armements sophistiqués.

Côté face, le Royaume-Uni, la patrie de James Bond et de quelques oligarques russes réfugiés, se drape dans son indignation pour réclamer de la Russie des explications et Theresa May en appelle à tous ses alliés occidentaux pour la soutenir face à l'ogre russe… Le tableau est beau. Presque trop pour être vrai, et la vérité, si tant est qu'on puisse s'en approcher, est sans doute la valeur la moins partagée dans le monde du renseignement. Les maîtres-espions justement – ceux qui sont autorisés à parler – s'interrogent d'ailleurs sur le scénario qui se dessine de prime abord, et c'est une autre lecture qui pourrait apparaître.

Pour Vladimir Poutine quel serait, en effet, l'intérêt d'avoir commandité l'assassinat de l'ancien espion, au moment où il veut faire de son pays un acteur majeur sur la scène diplomatique mondiale ? Montrer qu'il peut toujours frapper à tout instant et en tous lieux ceux qui s'opposent à lui ? Délivrer un message à ceux qui travaillent avec le FSB, les services secrets russes ? Mystère. L'implication du Kremlin – si elle reste bien sûr toujours possible – supposerait la rupture d'un code d'honneur en ce qui concerne les échanges d'espions dont a profité Sergueï Skriptal en 2010 : la grâce de part et d'autre.

Pour Theresa May, embourbée dans sa négociation du Brexit et contestée jusque dans son propre camp, cette affaire, en revanche, tombe à pic. Elle lui permet de ressouder son opinion et d'obliger ses alliés à prendre position. Mais, là aussi, la Première ministre britannique peut tout à fait être de bonne foi, instruite par les précédentes affaires comme l'assassinat dans son pays d'Alexandre Litvinenko à l'aide de polonium 210 en 2006…

Dans un scénario comme dans l'autre, faux-semblants et manipulations semblent pour l'heure être de mise. Et donnent raison à Montesquieu qui assurait que «l'espionnage serait peut-être tolérable s'il pouvait être exercé par d'honnêtes gens...»

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 14 mars 2018)

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