Après avoir tout fait pour contraindre les débats parlementaires dans un temps très limité, le 16 mars dernier, par crainte de ne pas disposer à l’Assemblée nationale de la majorité nécessaire pour faire adopter son projet de réforme des retraites – massivement rejeté par les Français – le gouvernement choisissait de dégainer l’article 49.3 qu’il avait pourtant juré ne pas vouloir utiliser. Moins de trois mois plus tard, l’exécutif tente à nouveau d’empêcher par tous les moyens procéduraux la tenue d’un vote sur une proposition de loi du groupe Liot – à qui il manqua 9 voix pour faire chuter le gouvernement avec sa motion de censure transpartisane – qui propose d’abroger la réforme des retraites et sa mesure de report de l’âge de départ de 62 à 64 ans.
Tout ce que compte la Macronie de chapeau à plumes fustige depuis des semaines une proposition de loi a priori contraire à l’article 40 de la Constitution, mais qui a pourtant été enregistrée fin avril comme recevable par le bureau de l’Assemblée, et échafaude depuis des jours, en coulisses comme dans les médias, tous les chemins réglementaires possibles pour faire capoter un vote, y compris en envisageant d’aller jusqu’à faire la même obstruction parlementaire qui était dénoncée lorsqu’elle venait de la Nupes…
Emmanuel Macron lui-même se disait pourtant prêt, cette fois, à laisser les députés voter. « Le Parlement examinera la proposition de loi. Pour la majorité, ce sera l’occasion de continuer à expliquer notre projet. […] Il devra d’abord y avoir un débat où chacun devra prendre ses responsabilités et expliquer comment on finance ! On ne peut s’affranchir du débat quand on est une force politique républicaine » disait le chef de l’État le 15 mai dans L’Opinion… avant de changer d’avis. Une volte-face que son entourage justifie péniblement par le fait qu’au moment où il s’exprimait, « la question de la recevabilité n’existait pas encore ». On a connu défense plus solide.
Le vote de la proposition de loi Liot, par ailleurs soutenue par 67 % des Français selon un sondage Elabe, ne débouchera pourtant pas sur l’abrogation de la réforme, partiellement validée par le Conseil constitutionnel et promulguée, et ne menace donc pas le gouvernement. Car, d’évidence, ce texte n’a aucune chance d’aboutir faute de pouvoir trouver une majorité au Sénat, dominé par la droite favorable à la réforme des retraites.
Si l’exécutif tente de phagocyter le texte du groupe Liot, c’est avant tout pour une question de symbole. Et en politique, c’est peu dire que les symboles comptent. Voir une proposition de loi de l’opposition adoptée pour détricoter une réforme-phare du gouvernement à peine entérinée constituerait un camouflet pour Emmanuel Macron.
Au-delà et quel que soit finalement le sort qui sera réservé le 8 juin à la proposition de loi Liot, cet épisode risque de laisser aux Français la désagréable impression qu’aucune leçon n’a été tirée des élections législatives de 2022. Emmanuel Macron n’a, d’évidence, toujours pas intégré qu’il n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée pour faire adopter sans coup férir ses projets de loi comme dans son précédent quinquennat, qu’il doit composer avec le Parlement pour chercher des majorités texte par texte – ce qui fonctionne d’ailleurs – et que, logiquement, comme dans toute démocratie, il faut aussi admettre, lorsque l’on est « une force politique républicaine », que l’on puisse perdre un vote…