Sans doute fallait-il une grande voix de la République, celle de Robert Badinter, pour nous sortir un instant d’une actualité dominée par le conflit des retraites et nous rappeler que, si elle a parfois déserté les unes des journaux et les plateaux des chaînes d’information en continu, la guerre en Ukraine est hélas toujours là. La guerre et ses crimes. Car si à 95 ans, l’ancien garde des Sceaux de François Mitterrand, qui a fait de l’abolition de la peine de mort en France le combat de sa vie, s’est longuement exprimé la semaine passée, c’est pour conduire son ultime combat : traduire Vladimir Poutine devant un tribunal pénal international pour crimes de guerre, comme les Nazis à Nuremberg.
Des crimes que les Ukrainiens documentent méticuleusement depuis le début de l’invasion russe le 24 février 2022, des crimes qui sont attestés par des documents mis au jour régulièrement. Dans un livre « Vladimir Poutine, l’accusation » (Ed. Fayard), co-écrit avec Bruno Cotte et Alain Pellet, Robert Badinter dresse un réquisitoire implacable contre le maître du Kremlin mais aussi remet en perspective ce conflit qui frappe l’Europe après 70 ans de paix. « La première question, c’est la paix et la guerre » dit Badinter. Ramener la paix et arrêter la guerre, mais comment ?
Après 16 mois d’un conflit meurtrier, la guerre en Ukraine semble être à un tournant avec l’imminence de la contre-offensive de Kiev pour reconquérir les territoires occupés dans l’Est et le Sud par la Russie. Soutenue par les livraisons d’armes occidentales, cette contre-offensive est annoncée de si longue date que certains experts n’osent y croire, préférant parier sur un gel du conflit. Dans la guerre informationnelle à laquelle se livrent aussi la Russie et l’Ukraine, les coups de com et de bluff, il est vrai, ont aussi fait partie des armes des deux camps ces derniers mois. Mais la multiplication des attaques ukrainiennes sur des positions russes et notamment Sébastopol, le port d’attache de la flotte russe de la mer Noire en Crimée annexée, leur volonté de briser la logistique de l’armée de Poutine et l’inquiétude d’un homme aussi pétri de certitudes que le patron de la milice Wagner montrent que cette contre-offensive devrait bel et bien avoir lieu et, peut-être, ouvrir une nouvelle phase de la guerre.
Sur le front diplomatique, l’intervention de la Chine, dont le président Xi Jinping a enfin pris au téléphone Volodymyr Zelensky, ouvre aussi une nouvelle phase même s’il serait vain de voir dans la deuxième puissance mondiale un médiateur déterminant et désintéressé. La Chine n’a pas varié d’un iota dans sa position sur le conflit et n’a toujours pas reconnu qu’il y avait un agresseur, la Russie, et un agressé, l’Ukraine. Accusant l’Occident de « profiter » de la guerre, Pékin entend reconfigurer l’ordre international selon ses vues et pour ses intérêts. Mais cet appel illustre aussi la gravité de la situation – Xi Jinping craignant une escalade nucléaire – et l’isolement politique de Vladimir Poutine. Face à la contre-offensive ukrainienne, qui sait comment réagira le maître du Kremlin ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 2 mai 2023)
Photo AFP : Des soldats ukrainiens.