Un monde où les insectes, la biodiversité, la richesse de la nature auraient disparu, tués par la pollution, une catastrophe climatique ou nucléaire : de tels scénarios dystopiques nourrissent depuis longtemps la fiction. Il y a cinquante cette année sortait ainsi le film culte « Soleil vert » de Richard Fleischer. Sur une planète écrasée par la surpopulation, la pollution et la chaleur, l’un des personnages, vieux professeur âgé qui a connu le monde d’avant, décide de se faire euthanasier, ce qui lui permet de revoir avant sa mort les images de ce qu’était la Terre autrefois, entre paysages magnifiques, vie sauvage luxuriante et beauté de la nature. Cette année, Apple TV +, le service de vidéo à la demande par abonnement d’Apple, a sorti une excellente série d’anticipation, « Extrapolations » où, la aussi, la Terre est épuisée par le réchauffement climatique et où des scientifiques tentent désespérément de sauver des espèces en voie d’extinction. Ces œuvres nous interpellent et on ressort de leur visionnage content qu’elles ne soient pas la réalité. Et pourtant, la réalité a déjà rejoint la fiction…
Les conséquences du réchauffement climatique – inondations, mégafeux, sécheresses… – se font de plus en plus nombreuses et intenses, et la flore et la faune souffrent, notamment les insectes qui déclinent de façon alarmante dans un silence coupable. Un silence qui n’est pourtant pas nouveau. En 1962 la biologiste américaine Rachel Carson publiait « Printemps silencieux », qui documentait pour les dénoncer les dramatiques conséquences de l’usage massif des pesticides sur des colonies d’insectes. Ce livre-choc, qui lança le mouvement écologiste mondial, parvint à faire interdire le DDT et d’autres pesticides aux États-Unis, qui créèrent ensuite l’Environmental Protection Agency (EPA), puissante agence de protection de l’environnement.
Soixante ans plus tard, le biologiste Dave Goulson tire à son tour la sonnette d’alarme en publiant « Terre silencieuse : empêcher l’extinction des insectes », paru le 8 février dernier aux éditions du Rouergue. Cet ouvrage permettra-t-il une nouvelle prise de conscience alors que, ces dernières années, les études scientifiques s’accumulent pour établir un inexorable déclin des insectes : 41 % auraient disparu, deux fois plus que de vertébrés sans soulever l’indignation.
Le drame des apiculteurs face aux néonicotinoïdes tueurs d’abeilles a bien sensibilisé l’opinion, mais comment mobiliser pour les autres insectes, petites bestioles qui ne reçoivent que notre indifférence ou notre agacement, alors même qu’elles sont indispensables à l’humanité et jouent un rôle-clé dans la bonne marche du monde ? Coccinelle, abeilles, papillons constituent un maillon essentiel de la vie sur Terre. La perte de 3 à 5 % de la production de fruits et légumes, la surmortalité de quelque 500 000 décès par an sont imputables au déclin des insectes.
Il est temps d’agir pour éviter de se retrouver dans le sinistre scénario d’un film ou d’une série où les générations futures ne découvriraient la beauté et la richesse de la nature qu’au travers de vieux documentaires sur un monde d’avant que nous n’avons pas voulu sauver.